Derrière ses allures inoffensives, la mouche orientale des fruits peut saccager des récoltes entières. © Getty Images

Pourquoi la mouche orientale des fruits inquiète la Belgique: «Un des insectes les plus ravageurs au monde»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

La mouche orientale des fruits, de son nom latin Bactrocera dorsalis, a été identifiée à plusieurs reprises sur des marchés belges. Scrupuleusement surveillé par l’AFSCA, cet insecte peut ravager des stocks entiers de fruits et légumes. Mais les chances que ce nuisible s’installe durablement dans les vergers restent faibles.

Elle n’est pas plus grande que l’ongle d’un pouce. Discrète, elle se faufile entre les étals de mangues, de bananes et de grenades à l’insu des marchands ambulants. Mais derrière ses allures inoffensives, la mouche orientale des fruits peut causer de sérieux dégâts.

Originaire d’Asie du Sud-Est, ce nuisible a fait son chemin jusqu’en Belgique. Mi-juillet, deux spécimens ont été détectés sur un marché de Molenbeek-Saint-Jean. En début de semaine, deux nouveaux insectes ont également été repérés sur le sol belge, respectivement à Anvers et Koekelberg. Au total, plus de onze mouches ont été identifiées sur le territoire depuis 2023. De quoi inquiéter l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (AFSCA), qui appelle les consommateurs, les producteurs et les commerçants à redoubler de vigilance face à la menace économique et environnementale que représente la Bactrocera dorsalis.

Sans danger pour l’être humain, la mouche orientale des fruits est en effet considérée comme «un des insectes les plus ravageurs au monde», précise Thierry Hance, professeur de biologie et d’entomologie à l’UCLouvain. Elle figure d’ailleurs sur la liste des 20 organismes de quarantaine prioritaires de l’Union européenne, qui impose aux Etats membres une surveillance accrue de ces espèces.

300 espèces fruitières menacées

Concrètement, la mouche orientale, à l’état de larve, va détruire le fruit en se nourrissant abondamment de sa chair. «L’insecte adulte pond ses œufs sous l’épiderme du fruit, explique Thierry Hance. Ceux-ci vont ensuite éclore et se transformer en larve, qui va creuser des galeries à l’intérieur du fruit. Il sera alors véreux et, donc, complètement immangeable.»

Si ces insectes sont si ravageurs, c’est notamment en raison de leur propriété multivoltine, c’est-à-dire leur capacité à se reproduire plusieurs fois par an. «Une femelle adulte peut pondre énormément, insiste le professeur en biologie, également membre de l’Earth and Life Institute. On parle de plus d’un millier d’œufs. Vous imaginez donc les dégâts que ça peut faire sur un étal de fruits…». La mouche orientale est également très polyphage: elle peut infester plus de 300 espèces fruitières différentes. «Les larves ont seulement besoin d’une chair suffisamment mûre et sucrée pour se développer, précise Thierry Hance. A l’origine, elles sont surtout friandes des mangues ou des fruits du dragon, mais elles peuvent même attaquer les prunes ou les bananes. Elles peuvent ainsi détruire des cargaisons entières et poser de gros problèmes économiques aux producteurs, notamment en Asie.»

Une présence sporadique

Après avoir colonisé la majorité de l’Asie du Sud-Est, la Bactrocera dorsalis s’est propagée en Afrique subsaharienne à partir des années 2000, avant d’être détectée à Hawaï en 2012 et à l’Ile de la Réunion en 2017. Elle a été identifiée pour la première fois sur le sol européen (sud de l’Italie) en 2018. Sa présence en Belgique est davantage ponctuelle, résultant de l’importation de fruits contaminés via des négociants professionnels ou des particuliers de retour de voyage, précise l’AFSCA. «Les spécimens récents ont d’ailleurs été identifiés dans des pièges à proximité de marchés exotiques ou des tas de composts», indique Kathy Brison, responsable communication de l’AFSCA.

Pour l’heure, la présence de ces drosophiles orientales reste sporadique. «Rien n’indique qu’une population de ces insectes se soit établie en Belgique», confirme l’AFSCA. Le climat belge n’est en effet pas propice à leur installation durable. «Ces mouches ne survivent pas aux températures inférieures à deux degrés, explique Thierry Hance. Il faudrait vraiment que nos hivers se réchauffent fortement pour observer l’établissement de colonies.» Pour le moment, le risque se limite donc aux négociants œuvrant sur les marchés durant la saison estivale, sans menacer directement les fruiticulteurs belges.

Chez les producteurs wallons, l’heure n’est donc pas à l’alarmisme. «On est plutôt dans une phase d’observation pour l’instant», confirme Olivier Warnier, directeur du Centre Fruitier Wallon. «D’autant qu’on fait beaucoup de ventes directes, sans grands volumes de stockage, complète Hélène Bullen, gestionnaire du groupement des fraisiéristes wallons. La saison des fraises touchant bientôt à sa fin, on devrait être épargné cette année. Mais il faudra rester vigilant pour les années à venir et continuer à surveiller ces insectes.»

Une application pour l’identifier

Ce qui n’empêche pas les producteurs wallons d’être infestés par d’autres nuisibles: le moucheron asiatique (drosophila suzukii), remonté du sud de la France en Belgique via les circuits commerciaux, ravage de nombreuses cultures. «On doit également composer avec le frelon asiatique, ajoute Olivier Warnier. Ce sont tout autant de défis que nous devons gérer au quotidien. Si la menace de la mouche orientale des fruits se concrétise un jour, il faudra également faire avec.»

Pour limiter les risques de propagation, l’AFSCA effectue un contrôle annuel des mouches orientales des fruits dans 30 sites à risque à travers le pays, de début juin à fin août. Elle procède également à des inspections systématiques des importations de fruits et de cultures tout au long de l’année. En mai dernier, elle a lancé (en collaboration avec le Living Lab Plant & Soil) le projet PESTFLY, qui vise à déployer davantage de pièges pour détecter précocement l’insecte.

La mouche orientale des fruits ressemble à une guêpe, mais ne dispose que de deux ailes et est bien plus petite. © AFSCA

L’AFSCA compte également sur la collaboration des citoyens pour éviter toute contamination. Elle demande ainsi aux producteurs et négociants professionnels de fruits et légumes de signaler le plus rapidement possible toute détection potentielle de Bactrocera dorsalis à l’unité de contrôle locale de l’AFSCA. Elle appelle en outre les voyageurs à ne pas rapporter de fruits et de légumes de l’étranger (une pratique d’ailleurs strictement règlementée). Enfin, elle conseille aux particuliers d’installer l’application ObsIdentify, qui permet, sur la base d’une simple photo, de reconnaître les insectes. En cas d’identification d’une mouche orientale des fruits, l’AFSCA sera automatiquement avertie et pourra intervenir en conséquence, grâce à un système de géolocalisation.

Comment repérer la mouche orientale des fruits?

Au stade adulte, la mouche orientale des fruits mesure entre 0,8 et 1 cm, soit environ la moitié de la taille d’une guêpe commune. «Elle peut donc rapidement passer inaperçue, surtout dans les marchés qui grouillent de monde», indique Thierry Hance. Contrairement aux guêpes, la mouche n’a pas quatre, mais deux ailes. Elle présente deux bandes jaunes sur le bord du thorax, un bord noir sur les ailes et un motif en forme de T sur l’abdomen. «L’abdomen se termine en pointe, qui est l’ovipositeur, précise le biologiste, c’est-à-dire l’outil qui permet à la femelle de transpercer la peau des fruits et de pondre ses œufs à l’intérieur.»

Les larves, elles, sont de couleur blanc crème et présentent une forme d’asticot typique. «Généralement, le fruit sera déjà altéré, donc le consommateur pourra les repérer facilement, expose le professeur de l’UCLouvain. Mais même en cas d’ingestion, le fruit contaminé ne causera pas de danger pour l’être humain ni l’animal. Les larves ne sont pas des organismes toxiques.»

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