L'empreinte carbone militaire réelle est très difficile à calculer, en raison notamment d'un manque de transparence.

Pourquoi la hausse des dépenses militaires menace le climat: «Un jet privé, ce n’est rien comparé à un avion de chasse»

Un rapport estime l’empreinte carbone potentielle de la hausse prévue des dépenses militaires des pays de l’Otan. En l’absence de mesures spécifiques, cette augmentation pourrait générer des dizaines de millions de tonnes de gaz à effet de serre supplémentaires chaque année.

C’est une décision qui avait beaucoup fait parler. En juillet dernier, les 32 pays membres de l’Otan s’étaient accordés pour consacrer 5% de leur produit intérieur brut (PIB) aux dépenses de défense d’ici 2035. Dans le détail, 3,5% de leur PIB devront être consacrés aux dépenses de défense pures d’ici dix ans, et 1,5% à leurs infrastructures critiques et la protection de leurs réseaux de communication notamment. Des chiffres très optimistes, alors qu’en 2024, huit des pays membres de l’Otan (soit un quart) consacraient moins de 2% de leur PIB à la défense: parmi eux, la Belgique se distinguait en allouant seulement 1,3% de son PIB à ce secteur. Côté belge, justement, l’Arizona avait annoncé quelques jours avant le sommet de l’Otan maintenir à 2% du PIB le niveau des dépenses militaires jusqu’en 2033, avant une augmentation à 2,5% en 2034.

«Les guerres ont un impact environnemental très lourd»

Bien qu’encore illusoire, cet objectif de l’Otan fait néanmoins peser de lourdes menaces sur le climat, selon un rapport de Scientists for Global Responsibility, une organisation britannique indépendante qui se base sur les conclusions de onze études sur l’impact climatique militaire. Si les dépenses militaires des membres de l’Otan atteignaient en moyenne 3,5 % du PIB sur une période de dix ans, cela pourrait ainsi générer 1.320 millions de tonnes d’équivalent de CO2 (tCO2e) de plus qu’en 2024, soit l’équivalent des émissions annuelles de gaz à effet de serre du Brésil, cinquième pays de ce funeste classement. Pour atteindre cet objectif des 3,5%, les 32 pays de l’Otan devraient de plus ajouter 132 millions de tCO2e à l’atmosphère, soit autant que la pollution carbone de 345 centrales à gaz. Et ce alors qu’entre 2019 et 2024, ils ont déjà ajouté 64 millions de tCO2e en augmentant leurs dépenses militaires de 200 milliards de dollars, toujours selon les estimations de la même organisation.

«Les activités militaires comptent parmi les plus carbonées d’un pays. S’il est beaucoup question de l’empreinte carbone d’une heure en jet privé, ce n’est rien comparé à celle d’une heure de vol d’un avion de chasse, par exemple», analyse François Gemenne, chercheur en géopolitique de l’environnement et co-directeur de l’Observatoire Défense et Climat du ministère français des Armées. Faisant écho au rapport, il explique que cette pollution est notamment liée aux carburants. «Avions, bateaux, blindés… Tout ce qui utilise du carburant est source d’empreinte carbone considérable. La production liée à l’armement pollue aussi: c’est un processus industriel très lourd. La fabrication d’acier demande énormément de chaleur et consomme beaucoup d’énergie. Il s’agit de l’une des activités industrielles les plus émettrices de carbone et beaucoup d’armements sont fabriqués à partir d’acier. Toutes les guerres ont aussi, indéniablement, un impact environnemental très lourd: avec la pollution carbone, la pollution des sols, l’impact sur la biodiversité ou encore tout ce qui est lié à la reconstruction.» Le rapport cite également le déplacement des équipements militaires parmi les sources de pollution.

Manque de transparence

En 2019, même sans prendre en compte les émissions issues des guerres et de la reconstruction post-conflit, l’empreinte carbone militaire globale correspondait à 5,5% des émissions mondiales, selon le même institut. Un chiffre qui devrait avoir sensiblement augmenté depuis, alors que les dépenses militaires mondiales ont atteint 2.720 milliards de dollars en 2024, avec une hausse de 9,4% en un an, selon ​​les données de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm. Mais le manque de transparence et de données disponibles rend impossible le calcul exact de l’impact militaire sur le climat. Même chose pour celui des conflits en cours, comme en Ukraine ou à Gaza: les observateurs ne peuvent pas se rendre sur le terrain en pleine guerre et ce genre de données est délicat à traiter pour des raisons morales (des personnes continuent de mourir chaque jour et la question climatique n’est pas prioritaire)… ou stratégiques. 

«Les armées ne sont pas très transparentes là-dessus et n’ont pas vraiment intérêt à l’être. Vous n’allez pas révéler votre consommation de carburant pour vos blindés, par exemple, c’est une information très stratégique, que connaîtrait alors l’ennemi», explique François Gemenne. Emettant au passage un bémol sur le rapport de Scientists for Global Responsibility: «Cela a le mérite de mettre en lumière l’impact carbone des activités militaires. Mais ce sont des extrapolations faites à partir de la hausse prévue des dépenses militaires des pays de l’Otan. Tout dépendra de la nature de ces dépenses et, surtout, des opérations qui seront menées: si les blindés ou les avions sont stationnés la plupart du temps, ils pollueront moins, par exemple».

D’éventuelles avancées technologiques pourraient aussi contribuer à réduire l’empreinte carbone militaire des pays de l’Otan dans les prochaines années. «De nombreux travaux sont menés pour tenter de réduire au maximum l’empreinte carbone des armées. Pas seulement par conscience écologique, mais aussi pour des raisons stratégiques: la première armée du monde qui parviendra à se passer de pétrole aura un avantage sur toutes les autres. La recherche de carburant de synthèse, à base d’hydrogène notamment, est potentiellement tirée par le haut par cette possibilité d’application militaire», avance le co-directeur de l’Observatoire Défense et Climat du ministère français des Armées.

Des «accords de paix» recommandés

En attendant, les données avancées ne rassurent pas sur la capacité à atteindre les objectifs pour le climat fixés ces dernières années, comme celui de limiter le réchauffement climatique à 1,5° au-dessus du niveau préindustriel. Pour Stuart Parkinson, directeur de l’étude, il est ainsi «extrêmement difficile de concilier l’augmentation actuelle et prévue des dépenses militaires avec les mesures transformatrices nécessaires pour prévenir un changement climatique dangereux», comme il l’explique dans le rapport. Des recommandations sont avancées, Scientists for Global Responsibility encourageant les pays dont les dépenses militaires dépassent 0,5% de leur PIB à fournir des données et estimations fiables de leur empreinte carbone liée à ces dépenses, tout en mettant en place des «plans ambitieux pour réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre militaires à zéro» avec des mesures «technologiques et non technologiques incluant des accords de paix, le contrôle des armements et des initiatives de désarmement». Un vœu pieux dans le contexte mondial actuel.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire