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La préservation des fonds marins est une urgence depuis… 20 ans. © GETTY

Océans: pourquoi ils se vident de leurs poissons (et comment les protéger)

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Alors que l’UE prépare le Pacte Océan, cinq ONG veulent faire plier les pays européens pour enfin stopper le désastreux chalutage de fonds dans les zones protégées. En Belgique, 100% de ces sites sont concernés.

C’est désormais bien connu: le chalutage de fond est la méthode de pêche la plus destructrice des fonds marins. Pour la pêche industrielle, il s’agit de gros chalutiers d’usine qui remorquent leur filet géant dans le fond de l’océan, détruisant tout l’écosystème qui y est niché. Les spécialistes diront qu’il existe plusieurs niveaux de chalutage de fonds, celui de la zone benthique (le niveau le plus bas) ou, juste au-dessus, celui de la zone démersale. Quel qu’il soit, ce chalutage, qui représente plus d’un quart des captures de poisson dans le monde (et cela se compte en dizaines de millions de tonnes par an), est particulièrement destructeur de la flore et de la faune marine. Il faudra bientôt profiter des derniers poissons qu’on pourra voir dans nos assiettes…

Consciente du problème, la Commission européenne voudrait interdire à terme ce type de pêche qui est par ailleurs très émetteur de CO2. Pour être cohérent, il faudrait commencer par interdire de manière effective ce type de chalutage dans les aires marines protégées (AMP) du réseau Natura 2000 européen. Des objectifs non contraignants ont déjà été fixés par l’UE. Le Pacte Océan que la Commission s’apprête à adopter, d’ici fin juin normalement, devrait renforcer la préservation de ces AMP pour autant que ce pacte ne se contente pas de ressembler à une simple déclaration, laissant les Etats membres libres de légiférer et contrôler souverainement.

Pour rappel, ces AMP sont des parcelles de mer ou de littoral désignées pour protéger des habitats marins et des espèces en particulier, notamment pour permettre leur reproduction. Dans les faits, elles le sont très peu. Selon une étude publiée en août dernier pour la Commission, les AMP couvraient 11,4 % des eaux de l’UE, en 2022, et seulement 0,2 % étaient entièrement ou hautement protégées. Résolues à faire de la protection une réalité, cinq ONG (1) –deux françaises, une allemande et une britannique– viennent d’engager une procédure d’infraction auprès de la Commission européenne pour que celle-ci saisisse la Cour de justice de l’UE. Trois pays côtiers sont visés par cette plainte: la France, l’Allemagne et l’Italie. Les ONG se réclament d’obligations légales contenues dans la directive UE sur les habitats naturels et d’autres textes législatifs européens.

«Le premier fait d’armes de l’Arizona pour les océans affaiblit l’ambition de la Belgique.»

Elles pointent surtout l’ampleur des dégâts. «Le chalutage de fonds est actuellement pratiqué dans 77% des sites Natura 2000 marins français, 85% des sites allemands et 44% des sites italiens, explique Marie Colombier de l’EJF. Cela représente, en moyenne annuelle sur la période 2020-2024, 466.000 heures de chalutage pour la France, 191.000 pour l’Allemagne et 91.000 pour l’Italie, dans des sites censés être des refuges sûrs pour la faune marine.» Si la Belgique n’est pas concernée par l’action des ONG, elle n’est pour autant pas en reste dans ce chalutage de fonds destructeur. Avec près de 14.000 heures par an, celui-ci concerne 100% des aires protégées belges, selon des calculs que l’EJF a effectués à partir des données de Global Fishing Watch, une importante ONG internationale qui fournit une vue mondiale des activités de pêche commerciale.

En avril 2024, le précédent ministre de la mer du Nord du gouvernement Vivaldi a signé un arrêté royal définissant plus clairement les zones marines Natura 2000 ainsi que les procédures d’obtention d’un permis d’environnement, notamment pour l’extraction de sable le long du littoral. Pourtant, fin mars dernier, Greenpeace a dénoncé l’abandon de la protection effective des océans par le gouvernement Arizona. Explication: la Belgique fait partie de l’alliance Blue Leaders qui a œuvré pour l’adoption de la convention de l’ONU visant à protéger 30% de nos océans d’ici à 2030, un objectif repris par l’UE via l’extension des zones Natura 2000. Mais, désormais, la mise en œuvre «effective» de ce principe n’est plus une condition à l’exploitation minière en eaux profondes pour l’Etat belge. «Il est inquiétant que le premier fait d’armes de l’Arizona concernant les océans affaiblisse l’ambition de la Belgique en matière de protection de l’environnement marin», déplore Nadia Cornejo, de Greenpeace Belgique.

Outre le chalutage benthique, l’exploitation minière constitue une autre menace importante pour les fonds marins. Le récent passage en force de Donald Trump, décrétant l’extraction à grande échelle de minerais dans les grands fonds océaniques, y compris en eaux internationales, et remettant ainsi en cause les compétences en haute mer de l’AIFM (Autorité internationale des fonds marins), a provoqué un tollé dans le monde entier. La Chine elle-même a jugé que le projet américain enfreignait le droit international. Les nodules des grands fonds marins regorgent de ressources métalliques précieuses telles que le cobalt et le manganèse qui sont des composants des batteries de voitures électriques et appareils électroniques. Mais des chercheurs scientifiques ont démontré l’impact dévastateur de cette exploitation minière. Il apparaît, en outre, que celle-ci ne réduira pas l’exploitation dans les mines terrestres.

Les cinq ONG qui ciblent le chalutage n’évoquent pas cette activité minière dans leur action, mais elles n’en sont pas moins préoccupées par ces perspectives. «Il n’y a évidemment pas que le chalutage qui pose problème, reconnaît Philippe Garcia, de DMA. Nous luttons aussi, par exemple, contre l’extraction des granulats dans l’estuaire de la Gironde qui est un lieu de nourricerie reconnu, avec les derniers esturgeons d’Europe. Depuis des années, on y donne des autorisations d’extraction de gravier servant à la construction, sans se soucier du sort des juvéniles d’esturgeons qui sont menacés d’extinction.» Les actions en justice pour préserver les océans se multiplient et les juges y sont de plus en plus sensibles. Même si elles restent dérisoires face à l’énormité du travail à accomplir, les victoires judiciaires sont de plus en plus nombreuses.

(1) Ces cinq ONG sont Environmental Justice Foundation (EJF), Défense des milieux aquatiques (DMA), Blue Marine Foundation, Deutsche Umwelthilfe (DUH) et Client Earth. Elles sont épaulées par le cabinet d’avocats Huglo-Lepage (du nom de l’ancienne ministre française de l’Environnement)

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