Le succès de la marche pour le climat à Bruxelles traduit-il un renouveau du mouvement climat? Pas si vite… Il montre en tout cas la déconnexion grandissante entre politiques et citoyens sur cette question.
Ils sont plus de 20.000, aurait chanté Brel, ce dimanche. Rien à voir avec les quelques centaines de marcheurs qui s’étaient réunis, sous le soleil, en novembre dernier à la veille de la COP annuelle. Cette fois, malgré une météo peu avenante, entre 20.000 et 30.000 Belges ont défilé, selon les décomptes, dans les rues de Bruxelles, à l’appel de la Coalition Climat, pour réclamer davantage d’attention politique à la question climatique. En France aussi, le week-end précédent, des marches pour le climat se sont étalées dans 70 villes. Ces marches s’inscrivent dans le sillage de centaines de rassemblements organisés dans 85 pays en septembre. Peut-on parler de renouveau du mouvement climat, y compris en Belgique, après sa mise en berne ces dernières années?
Va-t-on renouer avec la gloire des marches pour le climat qui, en 2018 et 2019, avaient réuni jusqu’à 120.000 personnes à Paris, 70.000 à Bruxelles, et qui avaient vu étudiants et lycéens débrayer de leur cours tous les vendredi? «C’est un peu trop tôt pour le dire, il faudra voir si le mouvement parvient à réinvestir l’espace public dans la durée, analyse Maxime Gaborit, assistant et doctorant en sciences politiques à l’UCLouvain Saint-Louis, dont les travaux portent sur les mouvements sociaux écologistes. Il faut parler de sursaut de conscience, plutôt que de prise de conscience. On observe, en tout cas, un certain retour de la cause après plusieurs années où la question climatique, qui est très dépendante de l’actualité, a été éclipsée par le Covid, puis la guerre en Ukraine, Gaza, le basculement d’un certain nombre de régimes…»
Constatant qu’il était de plus en plus difficile de mobiliser sur les sujets touchant à la catastrophe climatique, le mouvement a évolué dans son discours, surtout en France. Le mot d’ordre des marches du week-end précédent mêlait climat, Gaza, montée de l’extrême droite et droit des femmes. D’ailleurs, les marches s’appellent désormais «marches des résistances». En Belgique, les doléances sont beaucoup moins protéiformes, mais la justice sociale trouve néanmoins de plus en plus sa place dans les revendications écologiques. «Jusqu’ici, contrairement aux Français, les acteurs belges ont préféré rester focalisés sur la question climatique en évitant de troubler le message écologique avec d’autres messages politiques pour ne pas effrayer les gens pour qui la question sociale était jugée moins importante, explique Maxime Gaborit. Mais l’échec du mouvement l’a contraint à repenser sa stratégie.»
Changer le système
La réémergence des enjeux sociaux, qui avaient été un peu relégués au profit d’une approche consensuelle du mouvement, découle du constat, lors des marches de 2018 et 2019, qu’il est impossible de résoudre la crise écologique dans le cadre politique et économique actuel. D’où le slogan bien connu: «Changer le système, pas le climat!» C’est aussi dû au fait que les problèmes liés au réchauffement et à la dégradation de l’environnement ont quasi complètement déserté les assemblées politiques, un peu moins, sans doute, au niveau local, davantage confronté aux réalités de l’adaptation au changement climatique. On peut certes souligner les actions d’Yves Coppieters à la Région wallonne (Santé et Environnement) et de Jean-Luc Crucke au fédéral (Climat et Transition environnementale), mais ces deux ministres Engagés semblent se sentir bien seuls et inaudibles au milieu du brouhaha général.
La Belgique s’apprête, une fois encore, à remettre à la Commission européenne un Plan climat en retard et peu convaincant, incapable –du fait de la Flandre– d’atteindre l’objectif de réduction de 47% d’ici 2030. Ce qui explique, en partie, ces atermoiements, au niveau belge comme au niveau européen depuis les dernières élections, c’est la temporalité de l’urgence climatique. «Le discours de l’urgence a été le nœud de la mobilisation écologique pendant des années et a finalement perdu de son efficacité dans le temps, relève Maxime Gaborit. A force de répéter qu’il y a urgence, on se rend bien compte que ce n’est pas la même urgence que celle liée au social ou aux guerres. Le paradoxe du mouvement climatique est que la catastrophe écologique est une catastrophe lente.»
Or le champ politique et médiatique obéit, lui, à la logique de l’accélération. On passe d’un sujet et d’une polémique à l’autre en permanence. Mais le réchauffement se rappelle régulièrement à notre souvenir, à la faveur d’inondations, de chaleurs caniculaires, de feux de forêt géants… Et cela semble davantage interpeller les citoyens que les politiques. Ils étaient plus de 20.000, dimanche, à Bruxelles. Dans le récent Grand baromètre du Soir, deux tiers des Belges réclament davantage d’action des autorités pour le climat. Un sondage Ipsos, pour le compte d’Amnesty International, vient également de révéler qu’une grande majorité de personnes (75%) dans dix pays européens (Allemagne, Danemark, Espagne, France, Italie, Lituanie, Pays-Bas, Pologne, Roumanie et Suède) estiment qu’il est important que l’Union européenne fasse respecter ses propres lois environnementales. A bon entendeur…
«Le discours de l’urgence climatique a perdu de son efficacité dans le temps.»