La chaleur enregistrée cet été a fait battre un record en Turquie, le pays ayant franchi la barre symbolique des 50°C pour la première fois. Cette valeur rappelle que le réchauffement se poursuit au niveau mondial. Jusqu’en Europe occidentale?
L’été 2025 n’est pas encore terminé qu’un premier bilan –à chaud– s’impose déjà: la chaleur rythme toujours plus le quotidien des habitants par endroits. La Belgique a notamment enregistré deux nouvelles vagues de chaleur, dont la dernière s’est achevée le week-end dernier, à la faveur d’un petit fléchissement du thermomètre. La première avait eu lieu fin juin, avec notamment un pic de température à 35,9°C le 1er juillet.
Une chaleur accablante, mais encore bien loin des valeurs enregistrées ailleurs sur la planète. La Turquie, notamment, a affronté des températures caniculaires durant plusieurs semaines. Lors de la deuxième quinzaine de juillet, le thermomètre a dépassé les normales saisonnières de six à douze degrés, avec un nouveau record national à la fin du mois: 50,5°C mesurés à Silopi, dans le sud-est du pays. Celui-ci dépasse d’un degré la précédente marque (49,5°C), qui s’était produite en août 2023 dans la province d’Eskişehir (ouest).
Le pays a donc fait officiellement son entrée dans le cercle des nations ayant dépassé ce seuil symbolique des 50°C. Avant lui, le Maroc, l’Irak, la Chine, les Etats-Unis, la Tunisie, l’Australie, Israël, le Koweït ou encore le Pakistan ont enregistré des records dépassant ce chiffre, selon les données de l’Organisation météorologique mondiale (OMM). Le classement se complète d’autres pays, via d’autres sources et articles de presse, formant une liste de près d’une vingtaine d’Etats au total.
L’imprévisibilité des températures extrêmes
Certaines valeurs ne font pas consensus au sein de la communauté scientifique. Notamment le record mondial absolu de 56,7°C, mesuré en 1913 dans la «Vallée de la mort», en Californie (Etats-Unis). «Pour les mesures enregistrées avant les années 1950, il peut y avoir débat concernant les instruments, tranche Xavier Fettweis, climatologue à l’ULiège. Certains ergotent parfois sur des détails. Mais un degré de différence pour valider un record, lorsqu’on parle de température dépassant les 50°C, c’est finalement dérisoire. Cette situation exclut toute vie humaine, surtout si elle est associée à un fort taux d’humidité dans l’air, plus difficilement supportable que la chaleur sèche».
Si certains pays affrontent plus régulièrement que d’autres cette barre des 50°C, du côté de l’Iran, du Pakistan ou dans la péninsule arabique, il reste difficile de prévoir exactement les records et surtout leurs limites. Le réchauffement global ne fait plus aucun doute, avec des séries de températures qui grimpent décennie après décennie, mais les phénomènes plus ponctuels affichent plus d’imprévisibilité. «Les modèles se révèlent assez bons pour suivre les tendances, mais il reste possible que des points s’écartent totalement des courbes prévues. Nous ne sommes jamais à l’abri d’une conjonction de facteurs à un moment précis, qui crée une situation exceptionnelle. Nous sommes entrés dans une ère de valeurs inédites», analyse Nicolas Ghilain, chercheur en modélisation climatique à l’IRM.
«Anticiper les températures maximales atteignables est nettement plus complexe, appuie Xavier Fettweis. Une valeur au-delà de 40°C en Belgique semblait improbable avant 2060, mais elle a bien été atteinte (NDLR: le record absolu est de 41,8°C, mesuré à Begijnendijk en 2019). Flirter avec les 45°C est plus que probable. Certains pays européens du pourtour méditerranéen vont quant à eux parvenir aux 50°C. En France, c’est certain. Et probablement plus rapidement que ce que prévoient les modèles.»
Un réchauffement plus rapide en Europe
L’Europe occidentale a en effet évité, pour l’instant, pareille température, mais s’en rapproche. Le pic absolu a été atteint le 11 août 2021 à Syracuse, en Sicile (Italie), avec 48,8°C, record homologué par l’OMM. Juste derrière, les records nationaux se retrouvent en Espagne (47,4°C, août 2021), au Portugal (47,3°C, août 2003) et en France (46°C, juin 2019).
Les analyses actuelles permettent d’observer que l’Europe se réchauffe plus rapidement que d’autres endroits du globe. Un phénomène qui reste en partie une énigme, car les modèles de projections ne parviennent pas totalement à le reproduire. Mais plusieurs facteurs sont avancés. «Tout d’abord, les pôles se réchauffent davantage que l’équateur. Nous sommes à mi-chemin entre les deux, donc nous subissons les effets du réchauffement au nord. Ensuite, et c’est paradoxal, en polluant moins, nous avons diminué certaines particules qui reflétaient une partie du rayonnement solaire, ce qui a augmenté l’ensoleillement. Enfin, il y a un changement de la circulation atmosphérique. L’anticyclone des Açores remonte beaucoup plus au nord, il y a donc moins de dépressions et de précipitations. Sur un sol plus sec, il peut y avoir un phénomène d’emballement des températures», explique le climatologue de l’ULiège.
«Nous sommes situés à la rencontre de deux masses d’air, polaire et équatoriale, qui provoque une sorte de grand courant d’air, le jet stream. Avec le réchauffement climatique, celui-ci s’affaiblit, ce qui engendre des situations de blocage, l’air reste stationnaire. La chaleur a donc le temps de s’installer plus longtemps. Cela accentue les températures extrêmes, avec des valeurs qu’on n’aurait probablement jamais vues autrement», complète Nicolas Ghilain.
S’adapter et repenser les villes
Outre les possibles records, la hausse des températures a déjà des conséquences très concrètes sur le quotidien. Sur le sommeil notamment. Une étude publiée en 2022 avance que les humains auraient perdu en moyenne 44 heures annuelles de sommeil lors des deux premières décennies du XXIe siècle, par rapport aux périodes antérieures. Un chiffre qui pourrait grimper jusqu’à 58 heures perdues à l’horizon 2099.
Une conséquence directe de la chaleur, mesurable, qui invite à réfléchir à l’adaptation face à ce phénomène. Alors que les températures grimpent principalement en été, et vont encore davantage le faire à l’avenir, les deux experts se rejoignent sur la nécessité de repenser les modes de vie. «En ville, le phénomène d’îlot de chaleur urbain accentue encore la sensation étouffante de la chaleur. Les matériaux minéralisés rejettent énormément de chaleur la nuit, ne permettant pas aux villes de se refroidir. L’isolation a souvent été le premier critère de réflexion sous nos latitudes. On a bien moins anticipé nos besoins de fraîcheur pendant les vagues de chaleur en été», déplore le chercheur de l’IRM.
«En Belgique, il est clair qu’on a pensé les maisons passives pour l’hiver, pour garder la chaleur, mais pas du tout à l’inverse. Des quartiers entiers vont devenir invivables pour les habitants en plein été. L’autre risque qui va croître, ce sont les feux de forêt. Des incendies de grande ampleur risquent de survenir, comme ceux observés aujourd’hui ailleurs en Europe. Là, on n’est pas du tout prêt», conclut Xavier Fettweis.