Le phénomène de l’îlot de chaleur urbain est documenté et connu, mais sa prise en compte progresse timidement en Belgique. Une carte permet d’approcher cette chaude réalité à l’échelle du territoire belge, avec des limites mais une vraie utilité. De quoi prendre la température.
La Belgique va encore avoir chaud dans les prochains jours. Un peu plus ici, en plein cœur de Bruxelles, que là, en périphérie. La faute au phénomène bien connu d’îlot de chaleur urbain. Les facteurs sont multiples: mauvaise circulation de l’air, chaleur liée aux activités humaines, présence limitée de végétation et chaleur emmagasinée par les multiples matériaux minéralisés (route, béton, brique, etc). Ceux-ci capturent la chaleur et la diffusent plus longtemps, plus fort, notamment la nuit. La température grimpe donc toujours plus en plein centre-ville qu’en milieu plus rural, moins densément bâti et où la végétation joue un rôle plus important de régulation.
La classification du territoire en zone urbaine et non urbaine, parfois avec une tranche intermédiaire mixte, manque souvent de nuance pour permettre de situer et d’expliquer le phénomène. La Zone Climatique Locale (LCZ), imaginé par deux chercheurs en 2012, permet d’affiner l’analyse, via 17 sous-catégories de bâti et de couverture du sol, séparant ainsi l’espace en secteurs climatiques présumés homogènes.
D’un côté, le type de constructions permet de comprendre la densité urbanistique, directement liée au phénomène d’îlot de chaleur. Un bâti plus haut et plus compact signifie un risque élevé de surchauffe. De l’autre, la nature sous diverses formes, qui permet de profiter de fraîcheur, principalement avec la présence d’eau ou lorsque le couvert végétal est plus dense.
La carte des îlots de chaleur en Belgique
Une carte, mise en ligne par le «Bochum Urban Climate Lab» de l’université de la Ruhr en Allemagne, présente un travail colossal, en proposant une classification LCZ de l’ensemble de la planète. Il est possible de zoomer sur la Belgique, permettant ainsi de visualiser facilement les points potentiellement chauds. Le Vif en a extrait un découpage ci-dessous, permettant de rechercher une adresse pour connaître le type d’environnement, donc le risque de vivre dans un îlot de chaleur urbain.
Le découpage des zones découle de multiples données d’observation de la Terre, permettant cette première approche à une échelle de 100 mètres. Chaque zone, de 100 mètres sur 100, se retrouve associée à sa classe dominante, bâtie ou naturelle.
Cela limite l’analyse, puisque certains détails sont perdus lors de cette moyenne entre les différents éléments, mais la carte n’est pas dénuée d’intérêt pour autant. «Elle donne une classification avec une résolution plutôt intéressante. Ce genre de données peut servir d’apport pour enrichir un modèle plus détaillé des phénomènes climatiques en milieu urbain. Mais même sans ça, c’est assez intuitif: les points rouges sur la carte correspondront bien aux endroits les plus à risque pour les îlots de chaleur», observe François Duchêne, climatologue à l’IRM.
Un dôme chaud autour de la ville
Plus hauts, plus denses, les grands centres urbains ressortent en rouge foncé. Ils affrontent plus fréquemment la chaleur en été, qui irradie notamment de tous les matériaux minéraux. Un véritable dôme chaud se forme autour de la ville. Donner des écarts exacts de température entre le centre et la périphérie reste délicat, car dépendant d’énormément de facteurs très localisés. «Nos modèles actuels sous-estiment toujours un peu l’effet d’îlot de chaleur urbain et celui-ci est particulièrement exacerbé pendant les vagues de chaleur. Il y a aussi parfois une tendance à ne penser qu’à la journée, alors que c’est la nuit que les différences les plus importantes se marquent. Les températures n’arrivent pas à redescendre à cause de toute la chaleur accumulée qui est relâchée par le bâti», poursuit le chercheur de l’IRM.
A Bruxelles, particulièrement touchée par l’îlot de chaleur, des analyses et des cartes plus détaillées existent. Bruxelles environnement note sur son site que la température de l’air est plus élevée de 3°C en moyenne au centre de la Région qu’à ses alentours ruraux en été. Le centre-ville affronte également trois fois plus de périodes de fortes chaleurs qu’en zone rurale.
L’une des premières causes étant forcément l’absence de végétation par endroits. «Il y a une carence évidente d’espaces verts à Bruxelles et dans d’autres grandes villes, qui accentue l’emprise de la chaleur. Mais on commence à voir davantage d’investissements publics pour des parcs, la plantation d’arbres, etc. Avant, on voulait du vert parce que c’était joli. Aujourd’hui, c’est davantage le côté utile qui est mis en avant. Des arbres, cela fait de l’ombre, ce sont des capteurs de chaleur et ils rafraîchissent les environs grâce à l’évapotranspiration», détaille Géry Leloutre, professeur d’architecture et d’urbanisme à l’ULB. Un point que Bruxelles ou Liège ont bien pris en compte, via leur plan canopée, visant à augmenter le couvert végétal.
Adaptation progressive
L’adaptation à la chaleur en ville passe forcément par des aménagements, plus ou moins importants, qui peuvent évidemment passer par une verdurisation ou d’autres modifications. Blanchir les revêtements pour qu’ils absorbent moins de chaleur, réduire la présence de la voiture, isoler mieux, travailler sur les toitures et façades… Les idées sont là, mais les changements sont progressifs.
«La ville est là, il faut faire avec. On ne peut pas tout détruire pour reconstruire. Et c’est forcément dans ce type d’environnement qu’il y a le plus de tensions, car on ne sait pas laisser de la place à la fois à la voiture, aux piétons, aux cyclistes, aux transports en commun et à la végétation. Planter un arbre en ville, cela veut dire prendre un espace qui ne sera plus là pour autre chose. Cela rend l’évolution parfois lente, il y a des résistances», reconnaît l’urbaniste.
Si la végétation aide à apporter de la fraîcheur, tout comme l’eau, d’autres aspects doivent également être pris en compte. Avoir quelques feuilles au-dessus de soi ne résout pas tout. «S’il faut arroser énormément ce qu’on a planté, cela peut rajouter de l’humidité dans l’air. Or, l’air sec est plus supportable que l’air humide, notamment car la transpiration joue mieux son rôle pour nous rafraîchir. C’est un peu la même différence entre le sauna et le hammam», explique Cathy Clerbaux, professeur en sciences du climat (ULB).
Le réchauffement global à prendre en compte
La mise en lumière des îlots de chaleur urbains pose aussi la question du réchauffement global. La Belgique se réchauffe d’ailleurs plus vite que d’autres endroits du globe, ce qui ne fait qu’amplifier la problématique urbaine. Gagner en moyenne 2°C à l’échelle du territoire fera davantage souffrir les citadins, qui partent déjà de plus haut.
La ville doit donc continuer de s’adapter, ses habitants aussi. A l’échelle individuelle, la lutte passe par une réduction de ses propres émissions de carbone, «même s’il faut un mouvement généralisé autour de soi pour produire de vrais effets», nuance Cathy Clerbaux.
Les pouvoirs publics commencent à le comprendre, encore trop lentement au goût de certains. La question est pourtant brûlante.