Nickel, cobalt, manganèse: voilà les métaux rares de base des voitures électriques, des éoliennes et d’autres technologies vertes. Les scientifiques et les entreprises se tournent de plus en plus vers les grands fonds marins et l’espace pour exploiter. Dans quelle mesure est-ce réaliste?
Aujourd’hui que l’Europe, entre autres, ambitionne d’opérer une transition vers l’énergie verte, la demande en métaux rares augmente également. Ces matières premières ne sont pas inépuisables sur Terre. Dans leur quête de nouveaux gisements, les scientifiques ont découvert de grandes quantités de métaux stratégiques dans l’espace et au fond des océans: une piste que les entreprises veulent désormais aussi explorer.
Aspirateur à manganèse
Les scientifiques savent depuis des décennies que les fonds marins contiennent des nodules de manganèse, lesquels peuvent également receler d’autres types de métaux précieux, comme le nickel, le cobalt et le cuivre. On les appelle donc aussi «les truffes de l’océan». «Après la Seconde Guerre mondiale, la topographie des grands fonds marins a été cartographiée à l’aide de sonars. Plus tard, à partir des années 1960, l’intérêt pour les nodules de manganèse s’est accru, explique Philippe Muchez, géologue et doyen de la faculté des sciences de la KU Leuven. Finalement, à partir des années 1970, les scientifiques et les entreprises ont commencé à les prospecter.»
Selon Philippe Muchez, l’exploitation minière des grands fonds marins est une option réalisable que l’industrie va prochainement adopter. Il cite des entreprises de dragage comme Deme, qui ont déjà mis au point des méthodes pour extraire les nodules. «Ils ont construit une sorte d’aspirateur capable de ramasser les nodules de manganèse au fond des océans. Des projets pour une version plus grande sont actuellement sur la table.»
Pas d’unanimité
A l’intérieur de leurs propres frontières maritimes, les pays peuvent déjà pratiquer l’exploitation minière en haute mer, explique Philippe Muchez. «Le gouvernement des îles Cook examine actuellement la possibilité d’exploiter les nodules de manganèse.» Selon lui, l’exploitation minière en mer pourrait également être une option pour la Norvège, mais à la fin de l’année dernière, le pays a estimé que des recherches scientifiques supplémentaires étaient nécessaires avant de pouvoir commencer les activités minières.
Dans les eaux internationales, la situation est différente. L’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), une organisation indépendante des Nations Unies dont 169 pays sont membres à travers le monde, y compris l’Union européenne, n’a pas encore donné son accord formel à l’exploitation commerciale des nodules de manganèse.
L’organisation a néanmoins mis en place un système de redistribution des revenus issus de la mer. Mais tous les pays ne soutiennent pas cette approche. «Les Etats-Unis ne sont pas membres, indique Raphaël Deberdt, chercheur postdoctoral en ingénierie minière à la Colorado School of Mines, aux Etats-Unis. Fin avril, le président Donald Trump a signé un décret exécutif autorisant tout de même l’exploitation minière commerciale en haute mer.»
Avec ce décret, Trump souhaite faire des Etats-Unis «un leader mondial de l’exploration responsable des minéraux sur les fonds marins». Des pays comme la Chine n’ont pas apprécié cette décision. Ils critiquent le fait que Trump agit dans le dos de l’AIFM et enfreint les règles internationales.
Dans de tels cas, le leadership politique est d’une importance cruciale, souligne Philippe Muchez. «La politique doit être forte et unie. Et c’est précisément là que le bât blesse, selon lui. «Il n’est actuellement pas question d’unanimité.»
«Les organisations environnementales tirent également la sonnette d’alarme. Des associations telles que le WWF et Greenpeace affirment qu’aucune recherche scientifique suffisante n’a été menée sur l’impact écologique de l’exploitation minière en haute mer.»
Ruée vers l’or
Les organisations environnementales tirent également la sonnette d’alarme. Des associations telles que le WWF et Greenpeace affirment qu’aucune recherche scientifique suffisante n’a été menée sur l’impact écologique de l’exploitation minière en haute mer. Elles plaident pour une interdiction d’octroi de permis d’exploitation.
«Grâce aux recherches menées dans les années 1970, nous avons une idée des organismes qui peuvent revenir après 30 à 40 ans d’activité humaine, nuance Philippe Muchez. La vie sur les nodules de manganèse disparaîtra, mais toutes les zones riches en nodules ne seront pas exploitées.» L’expert souligne que les entreprises minières exploitent de plus en plus de gisements terrestres avec des concentrations métalliques plus faibles, ce qui les oblige à extraire des volumes bien plus élevés. «Cela pourrait avoir un impact plus important sur les zones concernées que l’exploitation minière en mer profonde. Mais nous ne pouvons le savoir qu’en autorisant une recherche couplée à une exploitation limitée.»
«L’exploitation doit être strictement délimitée et contrôlée. On ne peut pas tout permettre sans discernement.»
Philippe Muchez plaide donc pour une réglementation claire et une limitation des concessions. «L’exploitation doit être strictement délimitée et contrôlée. On ne peut pas tout permettre sans discernement.» Il fait référence à la ruée vers l’or en Californie, entre 1848 et 1856, durant laquelle l’extraction de l’or s’est faite de manière massive, sans règles ni respect des droits de propriété.
Astéroïdes riches en métaux
Et qu’en est-il de l’exploitation minière spatiale? Elle pourrait représenter une opportunité économique. En octobre 2023, l’agence spatiale américaine NASA a déjà lancé une sonde vers un astéroïde riche en métaux. Après son arrivée prévue en 2029, l’engin spatial prendra des photos du corps céleste pendant deux ans et recueillera des données. Cette mission d’exploration –la première vers un astéroïde métallique– pourrait aussi apporter aux scientifiques un éclairage sur la formation de planètes comme la nôtre.
Cependant, l’exploitation spatiale à des fins commerciales reste pour l’instant du domaine de la science-fiction. Les corps célestes riches en métaux sont difficilement accessibles. «Contrairement à la Lune, par exemple, ils ne sont pas stationnaires, explique Kai-Uwe Schrogl, conseiller spécial aux affaires politiques auprès de l’Agence spatiale européenne (ESA). Cela rend particulièrement complexe l’envoi de sondes, l’exploitation des astéroïdes et le rapatriement des métaux sur Terre.»
C’est un concept innovant, une étape que de nombreux chercheurs et entreprises veulent franchir. «L’homme veut toujours repousser les limites technologiques, explorer, et acquérir de la connaissance, souligne Kai-Uwe Schrogl. Mais l’exploitation minière de l’espace ne deviendra pertinente que lorsqu’elle sera rentable sur le plan commercial.» Ce n’est pas encore le cas, selon les experts. Sur le plan juridique aussi, de nombreuses zones d’ombre subsistent.
«L’exploitation minière de l’espace ne deviendra pertinente que lorsqu’elle sera rentable sur le plan commercial.»
Investir autrement
«Et pourquoi voudrions-nous déjà nous tourner vers l’espace?, se demande Raphaël Deberdt, chercheur en minéraux critiques et en transition verte Pour des raisons économiques, cela se comprend, mais d’un point de vue éthique et écologique, c’est plus difficile à justifier.» Selon lui, la priorité doit actuellement être ailleurs. «L’idée qu’il n’y aurait plus de métaux sur les continents est absurde, estime-t-il. Nous devons investir dans des techniques minières plus efficaces et moins polluantes, ainsi que dans un meilleur recyclage. Les problèmes actuels liés à l’exploitation minière ne se résoudront pas en allant extraire ailleurs.»
Philippe Muchez partage l’avis de Raphaël Deberdt: les métaux provenant des grands fonds marins ou de l’espace ne sont actuellement pas encore nécessaires, mais pourraient le devenir à l’avenir. «Nous devons mener les recherches maintenant et entamer les concertations dès aujourd’hui.»
Les procédés de recyclage des métaux extraits, vers lesquels Raphaël Deberdt souhaite orienter les efforts, sont aujourd’hui encore très coûteux et complexes. «Les investissements dans l’exploitation minière spatiale ou marine détournent des capitaux qui pourraient être utilisés à cette fin», déclare le spécialiste des mines.
Cela dit, les métaux ne peuvent jamais être entièrement recyclés. «Il y aura toujours une perte, affirme Philippe Muchez. Cela signifie que nous resterons à l’avenir dépendants de l’exploitation minière primaire.» Pour les décennies à venir, il entrevoit surtout des perspectives dans une combinaison équilibrée entre recyclage et extraction primaire responsable.
La Belgique peut jouer un rôle significatif à cet égard, soutient-il. «En général, nous sommes relativement avancés dans les techniques de recyclage, mais en ce qui concerne le pourcentage de métaux recyclés, cela reste encore au stade embryonnaire.» L’entreprise wallonne Hydrometal, par exemple, recycle des matériaux complexes contenant des métaux, tels que les déchets industriels ou électroniques. Une manière de diminuer la dépendance à l’exploitation minière primaire, tout en stimulant l’économie circulaire.
Par Alandra Preys