Feux de forêt dans l’Aude, cet été. © BELGAIMAGE

Feux de forêt géants: la menace s’intensifie (et la Wallonie n’est pas vraiment prête)

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Conséquence directe du réchauffement, les feux de forêt augmentent en nombre et en intensité. Etats et régions s’équipent de mieux en mieux pour les affronter. Pas la Wallonie, pourtant concernée…

Après celles du Canada et du Portugal cet été, les images de l’incendie géant qui ravage l’Aude, dans le sud-est de la France, font froid dans le dos. Plus de 17.000 hectares, soit l’équivalent de 25.000 terrains de foot, y sont déjà partis en fumée, faisant au moins un mort. C’est un triste record depuis l’incendie le plus meurtrier qu’a connu la France en 1949, lorsque 50.000 hectares avaient brûlé dans la forêt landaise, causant la mort de 82 personnes. Le spectacle de vagues de flammes qui engloutissent des étendues entières de végétation n’est pas nouveau, mais il est devenu dramatiquement banal.

Rien que sur le territoire européen, en juillet et début août, la  France, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la Grèce, l’Allemagne, la Turquie ou encore l’Ecosse déplorent la destruction de milliers ou de dizaines de milliers d’hectares par des feux de forêt. Depuis le début de l’année 2025, près de 360.000 hectares de forêts ont déjà été réduits en cendres dans l’Union européenne, selon l’observatoire Copernicus. Pour la Belgique, c’est près de 670 hectares qui ont déjà été détruits par les flammes cette année. Alors que l’été n’est pas terminé, c’est un record depuis l’année noire de 2011 (2.180 hectares) qui avait vu les Hautes Fagnes s’embraser.  On le sait, avec la hausse des températures et des périodes de sécheresse de plus en plus longue, la menace des feux de forêts s’intensifie.

Il faut s’y préparer et s’armer pour pouvoir lutter contre les flammes dévastatrices, comme le fait désormais la Grèce qui, en 2023, avait déploré le plus grand incendie jamais enregistré en Europe, avec plus de 90.000 hectares brûlés dans la région de l’Evros. Après cela, le gouvernement Mitsotakis a réagi en y mettant les moyens: engagement et formation de 15% de pompiers supplémentaires, acquisition de drones thermiques (permettant de détecter des départs de feu), amélioration de la coordination entre les différentes autorités (pompiers, garde-forestiers, militaires, préfectures…), signature d’un décret imposant aux citoyens de débroussailler les abords de leur maison… Malgré tout, les Grecs restent vulnérables. Cet été, plus de 50 foyers sont signalés chaque jour, des milliers d’hectares de forêts ont brûlé et, en Crète, 3.000 touristes ont dû être évacués de leur hôtel à cause des flammes.

Et en Belgique, est-on prêt? La Wallonie, avec les Ardennes dont plus de la moitié du territoire est boisée, est particulièrement à risque. «Les conditions hydrologiques y sont néanmoins moins préoccupantes que dans les régions méridionales, comme l’Aude où le taux d’humidité est nettement inférieur à 30% et les températures souvent supérieures à 30°C en été, nuance le colonel Stéphane Thiry, qui commande la zone de secours Luxembourg. Mais, avec des sécheresses de plus en plus importantes, le risque augmente. Nos interventions en milieu naturel progressent de 5% chaque année. Et, statistiquement, le nombre de signalements de départ de feux en milieu naturel a enflé de 30% ces dix dernières années.» Ce dernier chiffre est à prendre avec des pincettes, selon l’expert, car le recensement ne concerne pas seulement les feux de forêts mais aussi, par exemple, les signalements de particuliers qui brûlent leurs déchets verts à proximité d’une zone boisée. Une catégorisation des incendies est en cours avec le département wallon Nature et Forêts.

Deux fois moins de pompiers qu’en France

Cela dit, la Wallonie manque clairement de moyens humains et techniques pour affronter des méga-incendies de forêts. En Belgique, les zones de secours fonctionnent sur la base du volontariat, comme en France. Chez nos voisins, sur 256.000 pompiers, 200.000 sont volontaires. Chez nous, on compte plus de 12.000 volontaires pour 17.300 pompiers. Rapporté à la population, c’est deux fois moins. Il y a cependant davantage de zones naturelles à risque dans l’Hexagone. «Mais, surtout, l’Etat français s’est organisé pour libérer des volontaires de façon saisonnière et, en fonction des besoins, nombre d’entreprises françaises libèrent leurs travailleurs qui sont pompiers volontaires, note le colonel Thiry. Chez nous, il n’y a aucun avantage. Un pompier qui rentre de son boulot principal à 18 heures, puis est appelé pour une intervention qui dure jusque 4 heures du matin, retournera travailler le matin même… »

Sur le plan des moyens matériels, le constat est encore moins rassurant. «Côté francophone du pays, nous ne disposons d’aucun moyen aérien propre pour lutter contre le feu, déplore Stéphane Thiry. Pas d’avion, ni Canadair ni Dash ni Beachcraft, et pas d’hélicoptère. Le seul recours, si besoin, ce sont deux hélicos de la Police fédérale qu’on peut équiper d’un BuddyBucket, soit une sorte de seau au bout d’un câble, et qui peut déverser 1.000 litres d’eau.» Un Canadair en contient, lui, entre 3.000 et 6.000 litres, un Dash jusqu’à 10.000. «Encore faut-il que ces deux hélicos soient disponibles, ajoute le colonel. Si un feu de forêt important se déclare lors d’une visite du président Trump à Bruxelles, qui nécessite de grands moyens policiers, on devra s’en passer…» La Belgique bénéficie aussi d’accords bilatéraux lui permettant de bénéficier d’un appui français, mais le délai d’intervention se compte en jours davantage qu’en heures. Or un incendie progresse souvent à 5-6 kilomètre à l’heure, soit la vitesse de marche d’un homme. Dans l’Aude, au pire du désastre, la progression des flammes était de 1.000 hectares à l’heure, selon le sous-préfet de Narbonne.

«Nous ne disposons d’aucun moyen aérien propre pour lutter contre le feu»

Feux de forêt: l’exemple français

Cela dit, les pompiers wallons s’inspirent de la doctrine française du feu qui, bien connue en Europe, permet d’intervenir rapidement et massivement sur un site en flammes. «Il y a un vrai échange de bonnes pratiques, explique Stéphane Thiry. Nous nous en inspirons pour les méga-feux et eux s’inspirent de nos procédures pour de plus petits feux, comme les feux de champs. Plusieurs de nos cadres supérieurs ont également été formés dans le Var pour apprendre des techniques précises. Depuis 2024, la formation du personnel sur le terrain a démarré. Cela concerne, par exemple, l’utilisation des claies de portage.» Ces sortes de sacs à dos équipés de pompes thermiques et de tuyaux d’incendie pour intervenir dans une zone inaccessible à un véhicule permettent d’intervenir très rapidement.

Exemple de claies de portage, équipés de pompes et de tuyaux d’incendie. © Photo des sapeurs pompiers de Clécy en France

Bref, s’il existe un prise de conscience en Belgique face aux dangers des feux de forêt, celle-ci n’est toujours pas suivie de moyens adéquats. Autre lacune: la recherche des causes d’incendie en milieu naturel n’existe pas chez nous. En France, des équipes multidisciplinaires ont pour mission de faire ce boulot afin d’améliorer la prévention. Stéphane Thiry va suivre une formation dans le Var, cet automne, pour tenter de mettre en route une telle procédure en Belgique francophone.

La quantité de CO2 rejeté lors des incendies géants est énorme et hypothèque les objectifs de réduction fixés par l’UE. En 2023, rien que les 7.000 hectares qui ont brûlé dans le Var ont engendré autant de CO2 que les émissions annuelles d’une ville comme Avignon. Oxfam a relevé qu’en 2024, à l’échelle mondiale, les feux de forêt ont libéré 1.940 mégatonnes de CO2 en 2024, soit cinq fois les émissions de la France. La prévention des feux contribue aussi à la lutte contre le changement climatique. Un argument qui achèvera de convaincre les autorités?

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