La formation Guide-Nature des Cercles des naturalistes de Belgique fête son 50e anniversaire ces 28 et 29 juin avec une foule d’activités. Mais qui sont ces milliers de passionnés dont la devise est «émerveiller, transmettre, protéger»?
A côté de la mare de l’Ecosite de la vallée du Viroin, à Vierves, le petit groupe observe la faune pêchée et placée dans un bac à fond blanc: nèpe cendrée –une punaise aquatique dotée d’un «tuba» au bout de l’abdomen–, limnée –un gastéropode d’eau douce–, mégalarve de dytique bordée, triton palmé, gerris… Le programme est chargé en ce samedi de juin: après l’observation de la vie en eau stagnante, on chausse les bottes en caoutchouc en direction du Viroin pour la faune des eaux vives (écrevisses comprises) avant d’enchaîner l’après-midi avec le module consacré à la bryologie (étude des «mousses») et la ptéridologie (étude des fougères et plantes apparentées).
Ces femmes et ces hommes (le groupe est plus ou moins paritaire) sont venus de Namur, Bruxelles, Charleroi, Ottignies ou de la région de Mons pour participer à l’un de leurs «travaux pratiques», les journées sur le terrain de leur formation de Guides-Nature. Cela fait 50 ans que ça dure. Cinquante ans que Léon Woué, fondateur en 1957 des Cercles des naturalistes de Belgique (CNB), a lancé cette formation, inspiré par ce qui se faisait déjà au Canada et en Flandre. «Avant cela, en Belgique francophone, on pouvait suivre des formations sur des thématiques très précises, mais très séparées, précise Michaël Leyman, coordinateur de la formation. Il y avait la Société royale belge d’entomologie, des sociétés ornithologiques, de botanistes, etc. mais pour avoir un panel complet et faire des liens entre les différents éléments de la nature, il fallait aller puiser un peu partout. Dans la formation Guide-Nature, tout est réuni.»
1.900 Guides-Nature sont recensés dans la base de données des CNB, et chaque année 240 personnes entament la formation.
Diversité de profils
Depuis 1975, des milliers de passionnés ont été formée. D’abord à Vierves, puis aussi à Bruxelles, Bon-Secours, Neufchâteau (Grapfontaine), Namur et Soignies. Aujourd’hui, la base de données des CNB rassemble 1.900 Guides-Nature et chaque année 240 personnes commencent cette formation de trois ans. Environ la moitié poursuivra jusqu’à la guidance finale et décrochera son certificat.
Dans le groupe réuni ce matin à Vierves, plusieurs ont déjà un solide bagage scientifique. Delphine est vétérinaire, Laurent et Yves sont agronomes, Luca et Matthew ont étudié la biologie, Pierre, la géologie. D’autres sont arrivés avec les connaissances de base, parfois un peu lointaines, des cours de sciences du secondaire. Certains ont terminé récemment leurs études, d’autres sont en plein dans la vie active et d’autres encore approchent de la retraite. «J’arrive en fin de carrière, il me reste trois ans, témoigne Laurent, professeur de physique à l’athénée de Lessines. Mon but principal était de trouver une occupation lorsque je serai libre de toute activité professionnelle. Pour ne pas rester inactif. Et puis, je suis grand-père depuis peu: la sensibilisation à la nature, ce sera important dans l’éducation de mes petits-enfants. A mes yeux, elle permet de se relaxer, de méditer, de reprendre des forces. C’est aussi une vision de la beauté.»
Pour certains, comme Manuel, ingénieur de 43 ans, la formation Guide-Nature représentait la possibilité d’une réorientation professionnelle: «Je travaille dans la construction et quand j’ai commencé la formation, j’avais vraiment une envie de changement complet. C’était une occasion d’évoluer dans un domaine qui m’a toujours plu. Aujourd’hui, je le fais sans pression, c’est un vrai plaisir. J’ai envie d’obtenir le certificat, mais je ne sais pas encore très bien ce que j’en ferai. Je me dis que c’est peut être difficile d’en vivre.»
Difficile, sans doute, de vivre uniquement de visites guidées, d’autant plus que beaucoup guident de manière bénévole, mais la formation permet d’avoir les connaissances nécessaires pour certaines fonctions. «Beaucoup de Guides-Nature sont engagés dans les Plans communaux de développement de la nature (PCDN), des projets de gestion de réserves naturelles ou liés à des Commissions consultatives d’aménagement du territoire (CCATM), souligne Christophe Vermonden, directeur des CNB. Ils se sentent légitimes parce qu’ils ont bénéficié d’une formation écosystémique. On a aussi beaucoup d’enseignants qui participent à la formation pour pouvoir faire des guidances avec leurs élèves. Certaines personnes s’engagent aussi à plus court terme, par exemple sur un projet pour sensibiliser à la biodiversité dans les friches industrielles. Avec un diplôme de Guide-Nature, ils se sentent à l’aise pour se lancer.»
«Notre rôle est d’outiller les gens, sur des bases les plus scientifiques et rationnelles possibles.»
A l’écoute
Que leurs visées soient professionnelles ou personnelles, et même si leur formation n’est pas encore terminée, les futurs Guides-Nature sentent déjà un changement dans leur regard. «Ça m’a apporté une ouverture sur le monde, une conscience des écosystèmes, confie Elise, professeure d’expression corporelle. Je me rends compte qu’avec le petit bagage que j’ai, je peux déjà répondre à certaines questions que me posent mes amis. Chez moi, il y a un arbre, je n’ai jamais su qu’il s’agissait d’un saule jusqu’au module sur les milieux forestiers. Ça fait cinq ans que je vis là et je n’en avais jamais pris conscience.»
De son côté, Nadège, chargée de communication dans une caisse d’allocations familiales, constate qu’elle est déjà plus «à l’écoute» quand elle se balade. «Ça rend mes sorties nature plus concrètes, plus percutantes. Ça nous permet de connaître un peu mieux les endroits où l’on vit, même en ville. Par exemple, je prends le train tous les matins à la gare d’Ottignies et il y a plein d’hirondelles. Tout le monde a le regard sur son téléphone, je suis la seule à avoir la tête en l’air, je regarde les oiseaux. Je pense que cette formation me permettra de mieux agir dans ma vie quotidienne, d’avoir une incidence, à ma petite échelle, pour un plus grand respect de la nature. De transmettre ça autour de moi. Semer des petites graines de curiosité et de de prise de conscience chez les gens, c’était aussi ça qui me motivait.»
Ces «petites graines», il est urgent de les disséminer, à l’ère de l’effondrement de la biodiversité. «Avec une formation qui a commencé il y a 50 ans, certains Guides-Nature le sont depuis longtemps et sur dix, quinze ou 20 ans, ils constatent cette perte, souligne Christophe Vermonden. Et font face à une forme de tristesse ou de colère. D’autant que les gens qu’ils guident, qui voient ce milieu pour la première fois, peuvent penser qu’il s’agit de son état normal, qu’il a toujours été comme ça. C’est l’amnésie générationnelle. Il faut trouver comment continuer à émerveiller les gens dans ce contexte difficile.»
La formation Guide-Nature amène énormément de connaissances mais aussi un cortège de questions. Cela vaut-il la peine d’intervenir dans un milieu pour y créer une mare? Doit-on entretenir artificiellement les pelouses calcicoles où poussent des orchidées rares? Faut-il continuer à tailler les saules têtards? Restaurer ou privilégier la non-intervention? «Notre rôle est d’outiller les gens et de les accompagner dans ces questionnements, affirme Michaël Leyman. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses, mais on peut leur permettre de prendre leurs propres décisions sur des bases les plus scientifiques et rationnelles possibles.»
Yves, lui, a pensé qu’à 50 ans, c’était maintenant ou jamais. «Quand j’étais étudiant, j’aurais pu choisir les eaux et forêts, mais on ne nous poussait pas dans cette voie parce qu’on nous disait qu’il n’y avait pas beaucoup de débouchés. J’ai fait l’agronomie, mais j’ai toujours voulu aller vers la nature.» Aujourd’hui, il travaille dans un dépôt qui fournit des produits phytosanitaires aux agriculteurs travaillant en culture intensive. Il est conscient du grand écart, un peu schizophrénique, entre son métier et sa formation de Guide-Nature, mais le but de son apprentissage naturaliste est très clair: créer sa propre petite réserve naturelle. «Je suis issu d’un milieu agricole, j’ai hérité de quelques terrains dans la région de Soignies et j’ai envie de les transformer. Peut-être vendre ceux qui sont au milieu des grandes cultures et où on ne sait pas faire grand-chose d’autre, et racheter des coins que les agriculteurs aiment le moins, moins productifs, mais intéressants pour une réserve.»
Pour l’avenir de la formation jubilaire, Michaël Leyman a lui aussi un rêve: «A long terme, on peut presque espérer que notre asbl n’existera plus parce qu’elle n’aura plus lieu d’être. Parce que tout le monde serait reconnecté à la nature et aurait des connaissances acquises dans un cursus normal, à l’école.» Rendez-vous dans 50 ans pour voir où on en sera.