D’ici à la fin décembre 2026, les espaces non construits à Bruxelles le resteront: un tribunal vient d’imposer un moratoire à la Région, priée de prendre des mesures adaptées à la nouvelle donne climatique.
Les projets de construction dans les espaces verts sont désormais gelés en Région de Bruxelles-Capitale. Le 29 octobre, le tribunal francophone de première instance de Bruxelles lui a en effet imposé de suspendre l’urbanisation et l’imperméabilisation de ces sites. Objectif: d’abord repenser la ville en fonction de données climatiques actualisées pour ensuite atténuer par des mesures ad hoc les effets négatifs du changement climatique. Les terrains concernés sont, entre autres: la friche Josaphat (Schaerbeek), le Bempt et le marais du Wiels (Forest), le carré des Chardons (Schaerbeek), la zone du Grand Forestier (Auderghem et Watermael-Boitsfort), le site Distelhoek à Schaerbeek.
Ces projets seront donc suspendus, même si des demandes de permis ont déjà été introduites ou si des permis ont déjà été délivrés. Cette pause forcée s’appliquera jusqu’au 31 décembre 2026, sauf si un nouveau plan d’aménagement du territoire (Pras-Plan régional d’affectation du sol) est entériné d’ici là. En décembre 2021, le gouvernement bruxellois avait décidé de revoir celui-ci mais les informations aujourd’hui disponibles sur le réchauffement climatique en cours changent la donne. «Il est plus pertinent de réviser ce Pras maintenant qu’après avoir urbanisé les terrains, observe l’avocat Vincent Letellier. Après, il sera trop tard.» Or, jusqu’ici, le gouvernement bruxellois continuait à délivrer des permis d’urbanisme.
Dès lors que ce jugement est tombé, ces procédures seront mises à l’arrêt. L’administration, en revanche, peut continuer à préparer la révision du Pras. Ensuite, il reviendra au nouveau gouvernement, lorsqu’il sera formé, de faire ses choix politiques.
L’actuel gouvernement bruxellois peut bien sûr faire appel de ce jugement. Il se décidera dans les prochains jours. Le jugement n’en sera pas moins exécutoire; il risque aussi de ne pas tomber avant au moins deux ans, vu l’encombrement de la cour d’appel.
1.333 plaignants
L’affaire a été portée devant les tribunaux par les asbl We are nature et Bruxelles Nature, rejoints par 1331 citoyens âgés de 11 mois à 97 ans. Ceux-ci entendaient placer la Région face à ses responsabilités et aux engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris, signé en 2015: réduire les émissions de gaz à effet de serre en conservant et augmentant les puits carbone et réduire la vulnérabilité de chacun à ces changements par l’adoption de mesures d’adaptation de la ville, pour la rendre vivable.
«C’est un jugement historique, se réjouit Me Vincent Letellier. A ma connaissance, c’est la première fois qu’un tel moratoire est imposé à l’échelle de toute une ville. Ici, non seulement la faute de la Région est reconnue, mais celle-ci est tenue de prendre des mesures concrètes. Il ne s’agit pas de sanctuariser ces espaces verts mais d’attendre le nouveau Pras –cette carte qui divise le territoire en zones, constructibles ou non, suivant les différentes activités qui y sont admises, et dont la dernière version date de 2001– pour décider de l’avenir de ces terrains dans une vision repensée de la ville.»
Autrement dit, lorsque le nouveau Pras sera connu, certains des projets d’urbanisation prévus pour ces espaces verront bien le jour, peut-être différemment des plans initiaux, tandis que d’autres pourraient être abandonnés. «Les entreprises qui ont acquis ces espaces en vue de les urbaniser ne subissent pas de dommages, si ce n’est qu’elles doivent attendre, insiste l’avocat qui interroge, par ailleurs, la responsabilité sociétale de celles-ci dans des projets qui aggravent le problème. Il faut se demander combien cela coûterait de gérer une ville invivable.»
Ainsi, par exemple, pour la friche schaerbeekoise Josaphat, l’un des derniers terrains vierges de la Région de Bruxelles-Capitale, la société française Eiffage a déposé une demande de permis de lotir. Des logements, des bureaux, des commerces, des infrastructures collectives devraient s’implanter sur les quatre hectares concernés, ne laissant que 23% de la surface en espaces verts. Or, cette friche est considérée comme une zone de haute valeur biologique, capitale en matière de biodiversité.
«La température augmente beaucoup plus vite dans les villes qu’ailleurs parce que la nature absorbe la chaleur et produit de la fraîcheur, rappelle-t-on chez We are nature. L’urbanisation et le taux d’imperméabilisation des sols sont les causes principales de l’augmentation nettement plus rapide de la température en ville.» Or, l’imperméabilisation des sols ne cesse de progresser dans la Région: en 1955, elle concernait 27% du territoire, contre 53% en 2022.
Dans son mémorandum 2024, Bruxelles Environnement ne disait rien d’autre, insistant sur le nécessaire développement «massif de la végétalisation des espaces publics et du bâti, la désimperméabilisation des sols et l’accélération du développement d’un maillage vert et bleu qui connecte la nature à la ville et garantit un lieu de vie de qualité à l’ensemble des habitants.»
La Région admet elle-même qu’il n’existe aucune comptabilité actualisée de la capacité de captation des gaz à effet de serre par les puits naturels au niveau régional.
Le jugement du tribunal de première instance est d’ailleurs sans pitié pour la gestion du gouvernement bruxellois. «La Région a été reconnue responsable de ne pas avoir rempli les exigences minimales de réduction d’émissions de gaz à effet de serre qui s’imposaient à elle, peut-on y lire […] Elle admet elle-même qu’il n’existe aucune comptabilité actualisée de la capacité de captation des gaz à effet de serre par les puits naturels à l’échelon régional. En décembre 2023, le ministre en charge de la transition climatique déclarait que «l’absorption de CO2 ne représenterait, à ce stade, que 0,12% du total des émissions régionales». Or, depuis 2015 au moins, la Région a connaissance du lien entre l’imperméabilisation des sols et les conséquences provoquées par les inondations et les épisodes de sécheresse sur les conditions de vie de ses habitants. D’ailleurs, poursuit le jugement, dès 2012, elle exprime son souhait de stopper l’imperméabilisation des sols. Ces déclarations d’intention se heurtent au constat répété par la Région elle-même d’une urbanisation et d’une imperméabilisation des sols en croissance constante à ce jour.»
Ce lundi 3 novembre, avec beaucoup d’à propos, l’administration fédérale lançait un nouveau cri d’alarme: selon son baromètre de la transition, au rythme actuel, la Belgique n’atteindra pas la neutralité climatique en 2050. Certes, des progrès ont certes été enregistrés dans certains secteurs, mais ils sont insuffisants…