La rentrée d’argent peut être non négligeable pour un secteur en crise. © GETTY

Comment l’éolien envahit les zones agricoles: entre indemnités alléchantes, conflits de voisinage et regrets

Majoritairement construites sur des terres agricoles, les éoliennes représentent une rentrée d’argent non négligeable pour un secteur en crise. Tout n’est toutefois pas rose pour les agriculteurs.

Dans le Plan air climat énergie (Pace), l’objectif du gouvernement wallon est d’atteindre une production d’électricité d’origine éolienne de 6.200 GWh par an en 2030. Un défi de taille, puisque seuls 1.880 GWh (soit 30,32%) ont été produits grâce aux éoliennes terrestres (onshore) wallonnes en 2023, selon le cabinet de l’ancien ministre du Climat et de l’Energie, Philippe Henry.

Pour réduire l’écart, deux solutions: remplacer une partie des 611 mâts déjà érigés sur le territoire par des installations plus performantes, ou construire de nouveaux parcs –en février 2024, Edora, la Fédération des énergies renouvelables, annonçait une étude d’incidence pour 629 nouvelles éoliennes et une situation de recours pour 234 autres. Où seront-elles construites? Essentiellement sur des terrains agricoles. Parmi celles déjà en activité en Wallonie, «581 sont implantées en zone agricole», dénombre Nicolas Yernaux, porte-parole du Service public de Wallonie (SPW). Soit 95%. Un choix logique pour les promoteurs puisque les parcelles sont généralement éloignées de tout obstacle pouvant influencer la qualité du vent, et des habitations de riverains qui pourraient s’opposer au projet.

«Certains opérateurs ont réservé des terres en sachant pertinemment qu’ils n’y construiraient rien.»

Des terres devenues des biens spéculatifs

La course aux terrains n’est pas sans conséquences…

Les meilleures zones venteuses sont connues depuis la moitié des années 2000. Beaucoup ne sont déjà plus disponibles, affirme Raphaël Dugailliez, de la coopérative Eole Modave. C’est le cas en Flandre et en Hesbaye, où les terrains sont les plus venteux, et donc les plus convoités. Leur valeur pécuniaire n’en est que plus grande, car «plus il y a de vent, plus les promoteurs sont prêts à dédommager les exploitants», commente Loïc Biot, chef de projet chez Engie.

Les promoteurs éoliens sont en effet rarement propriétaires des terres où ils implantent leurs parcs. La majorité concluent des baux à ferme de longue durée avec des propriétaires, dont des agriculteurs. Pas forcément pour les utiliser, il s’agit parfois seulement d’un acte purement spéculatif. «Des pratiques très peu avouables ont eu lieu, dénonce Mario Heukemes, représentant de Cociter, une coopérative wallonne de fourniture d’électricité verte détenue par des coopératives citoyennes. Certains opérateurs ont réservé des terres en sachant pertinemment qu’ils n’y construiraient rien. Soit pour empêcher un concurrent de mettre la main dessus, soit pour revendre le contrat foncier à un autre opérateur et ainsi réaliser une plus-value.»

Les propriétaires terriens et les exploitants agricoles, sous la pression des énergéticiens, peuvent parfois pâtir de cette spéculation. «Les gros développeurs de projets font appel à des chasseurs de terrains qui font signer des options pour bloquer des champs en attendant qu’un projet puisse y être construit», indique Mario Heukemes. A la clé, la promesse d’annuités alléchantes (lire ci-après)… mais seulement lorsque le projet est confirmé.

Dans l’attente, les agriculteurs ont certes le droit de continuer à cultiver leurs terres, mais pas d’en faire totalement ce qu’ils veulent, comme d’y construire quoi que ce soit qui pourrait porter préjudice à l’éventuel futur grand moulin. Si le mât n’est jamais érigé, parce que le promoteur n’a pas obtenu le permis ou que le projet est abandonné, tant pis. Aucun dédommagement n’est prévu.

Jusqu’à 25.000 euros par an

Les annuités, par éolienne construite, pourraient néanmoins s’élever jusqu’à 25.000 euros, selon divers interlocuteurs. Tout dépendra du promoteur et du projet. Mais aussi de la date de signature du contrat.

Voici quelques années, ce montant était encore divisé par deux. Le coup d’accélérateur donné à l’éolien par la Région wallonne et la raréfaction des terrains exploitables ont fait bondir le prix des locations. Cependant, l’exploitant agricole qui n’est pas propriétaire de ses terres touchera beaucoup moins. S’il a la double casquette, il sera mieux loti. C’est le cas d’un couple d’agriculteurs hainuyers qui a souhaité garder l’anonymat. Il perçoit non seulement des indemnités annuelles brutes de 12.500 euros pour l’éolienne en service sur leur propre terrain, mais également 3.000 euros pour une seconde implantée sur un champ de culture qui ne leur appartient pas.

L’intégralité du montant n’atterrit toutefois pas dans la poche des bailleurs. «Les redevances perçues dans le cadre du droit de superficie lié à l’exploitation d’une éolienne sont taxées comme des revenus immobiliers», précise Maureen Trussart, juriste à la Fédération wallonne de l’agriculture (FWA). Ce que confirme la porte-parole du SPF Finances, du moins «dans la plupart des cas», précise-t-elle. Les revenus qu’un agriculteur perçoit en raison du placement d’une éolienne sur des terres qu’il affecte à l’exercice de son activité professionnelle peuvent aussi être imposables à titre de revenus professionnels, selon les circonstances de fait et de droit propres à chaque cas. «Dans un cas ou dans l’autre, les revenus sont imposables globalement à l’impôt des personnes physiques au taux progressif», ajoute la porte-parole.

Il n’empêche, même rabotées de moitié, comme l’affirment les fermiers, ces annuités représentent une rentrée substantielle. Selon l’un d’eux, l’éolienne installée sur son terrain, et qui empiète sur une vingtaine d’ares, lui rapporterait 6.250 euros net par an, soit 500 euros par mois. Une bouffée d’oxygène pour un secteur à bout de souffle. En comparaison, la culture d’un hectare lui rapporte entre 200 et 600 euros par an. Le calcul est donc vite fait. Et ce, malgré des contrats un peu obscurs, un équilibre des forces inégal entre petit propriétaire terrien et/ou agriculteur et énergéticien.

«Aujourd’hui, on s’en mord les doigts, car on se dit qu’on aura du mal à exploiter nos terres. Notre but n’est pas d’installer des éoliennes partout, notre but c’est de cultiver.»

Une course à l’échalote

Autre revers à la médaille: des jalousies entre agriculteurs et tensions avec le voisinage peuvent apparaître. C’est l’autre prix de la course effrénée à l’éolien onshore.

Quand il repère une zone intéressante, le promoteur éolien (ou le chasseur de terrains) ne se contente pas d’entrer en contact avec un propriétaire, il se présente chez tous ceux qui possèdent des terres aux alentours. La proposition est toujours identique: mêmes promesses, mêmes contraintes, mêmes contrats. Un mât concerne rarement un seul terrain, et potentiellement un seul propriétaire. Une éolienne, c’est non seulement un moulin à vent, mais aussi des câbles enterrés, des servitudes et des pales qui survolent les champs voisins.

Dans les contrats d’option consultés, aucun ne stipule quelle partie de la construction concernera quel terrain. Chaque propriétaire espère toucher le jackpot, à savoir le mât, la partie la plus lucrative. Mais aucun ne sait, avant la validation du chantier, où celui-ci sera construit. «Nous ne nions pas qu’il peut y avoir des dissensions entre voisins, reconnaît Loïc Biot, d’Engie, qui réfute toutefois toute mise en concurrence entre les propriétaires terriens. Ce n’est pas dans notre intérêt de nous mettre les personnes à dos.» Reste qu’en dernier recours, «nous ne nous privons pas d’aller voir les voisins lorsque le premier agriculteur refuse».

Les contrats sont parfois piégeux, mieux vaut les soumettre à un spécialiste. © GETTY

Une stratégie qui porte ses fruits, selon Maureen Trussart: «Certains agriculteurs accepteront car ils préfèrent avoir une éolienne sur leur terrain, et bénéficier des avantages, plutôt que de la voir tourner tous les jours chez leur voisin.» C’est d’ailleurs l’expérience vécue par le couple d’exploitants dans le Hainaut: «Les promoteurs sont venus chez nous deux fois et nous ont mis la pression pour qu’on accepte leur proposition, disant que si l’éolienne n’était pas construite chez nous, elle le serait ailleurs, et que quelqu’un d’autre bénéficierait donc des indemnités.»

Comment résister, en effet? Et puis, comment faire le poids face à des mastodontes tels qu’Engie, Eneco ou Luminus? Demander conseil à des avocats spécialisés peut aider. Tous n’y pensent pas, avec pour conséquences, parfois, d’amères regrets malgré les rentrées d’argent. «Dans un premier temps, on voulait faire un geste pour l’environnement, même si l’aspect financier a aussi pesé, c’est vrai, reconnaît notre couple hainuyer. Aujourd’hui, on s’en mord les doigts, car on se dit qu’on aura plus de difficultés à exploiter nos terres à l’avenir. Notre but n’est pas d’installer des éoliennes partout, notre but, c’est de cultiver

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