«En couple, les jeunes parlent plus facilement d’argent mais c’est toujours plus compliqué pour celui ou celle qui a le moins de revenus»

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

Au sein des couples tant hétéros que gays ou lesbiens, les questions financières restent difficiles à aborder et à vivre, relève Caroline Henchoz, spécialiste de l’économie conjugale. Même si les comportements évoluent.

Caroline Henchoz est docteure en sciences humaines, professeure à la haute école spécialisée de Lausanne, autrice notamment de Le Couple, l’amour et l’argent (L’Harmattan, 2008) et coautrice du rapport de recherche, cette année, Homoney. Les couples gays et lesbiens et l’argent.

Le rapport à l’argent au sein du couple a évolué ces dernières années?

Jusqu’aux années 1960, le modèle privilégié était la remise de paie: la femme restait à la maison et le mari lui remettait sa paie, pour les dépenses courantes. Ce n’est que lorsque les comptes en banque se sont généralisés que les femmes, même sans y avoir accès, se sont rendu compte de ce que gagnait leur mari. Et que, dans certains cas, il en gardait une partie. Ensuite, il y a eu un changement dans la perception de la conjugalité avec la valeur de compagnonnage, de solidarité et l’émergence du modèle de mise en commun des revenus, même s’il n’y en avait qu’un seul –celui de l’homme. Aujourd’hui, on est dans la tendance à l’individualisation des finances, rendue possible par le fait que les femmes, à l’arrivée des enfants, ne se retirent plus forcément du marché du travail. Elles conservent des revenus, avec l’idée d’en gérer une partie de façon autonome, à côté de la mise en commun et de la répartition des dépenses. La femme est devenue une partenaire financière au sein du couple. Sauf qu’elle ne parvient pas à disposer d’un budget ou d’une épargne personnel(le) puisqu’elle gagne généralement moins que l’homme. Ce qui peut produire les inégalités, typiquement en cas de grosse différence de revenus et de partage des dépenses, à 50-50 ou au prorata des salaires. Les femmes n’y voient pas nécessairement une privation parce qu’elles disposent du pouvoir de participation financière et donnent leur avis sur les dépenses avec autant de poids que leur partenaire.

Sauf en cas de séparation…

Oui, mais durant la relation, beaucoup sont conscientes de l’inégalité mais misent sur l’hypothèse qu’en cas de séparation, le partenaire étant soucieux de leur bien-être, ça va bien se passer. La séparation implique d’expliciter cette inégalité alors qu’elle n’a pas été exprimée ni discutée quand tout allait bien. Ce qui pose souvent problème. Parce qu’on n’est plus dans l’économie conjugale, on est dans l’économie de la séparation…

C’est si compliqué d’inscrire les questions financières dans le cadre amoureux?

Les choses évoluent: les jeunes générations, de milieux informés, où les questions d’égalité sont très importantes, en parlent plus facilement, sans que ce soit contradictoire avec les sentiments amoureux et le souci de bien-être du partenaire. Cela dit, j’observe que c’est toujours plus compliqué pour celui ou celle qui a le moins de revenus.

Quels enseignements salutaires tirer de la façon dont les questions d’argent sont abordées et vécues au sein des couples homos?

La sensibilité aux questions financières et économiques, à leurs enjeux et à la prise en considération de l’ensemble des dimensions de la vie quotidienne. Et la volonté d’être exemplaire sur ces points-là, parce qu’on doit déjà tellement lutter pour être reconnus, on est tellement sujet à jugements négatifs. Pour autant, souvent, là aussi, c’est le partenaire qui gagne plus qui assumera les plus grosses dépenses; à l’arrivée d’un enfant, c’est le parent biologique qui investit davantage dans les tâches domestiques; en cas d’adoption, c’est le parent qui gagne le moins… C’est difficile de sortir du modèle du couple hétéronormé.

«La femme est devenue une partenaire financière au sein du couple. Sauf qu’elle ne parvient pas à disposer d’un budget ou d’une épargne personnel(le). 

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