Parité des exécutifs, équipements sportifs mixtes, toilettes publiques, féminisation des noms de rue, budget sensible au genre… Certaines communes ont décidé d’en faire davantage pour réduire les inégalités femmes-hommes.
Les communes favorisent-elles, de manière consciente ou inconsciente, des usages majoritairement masculins? D’emblée, le décor est planté: équipements sportifs extérieurs se limitant à des appareils de musculation, des skate-parks ou des terrains de basket; toilettes publiques absentes ou peu indiquées; bancs publics rares ou inhospitaliers; rues mal éclairées, propices à créer un sentiment d’insécurité; cours de récréation pouvant facilement être «squattées» par quelques joueurs de foot, reléguant les filles à la marge… Sans parler des noms de rue célébrant des personnages masculins dans leur écrasante majorité.
Comment faire en sorte que les villes soient plus agréables à vivre pour les femmes? Cette approche, très récente, entre timidement dans les collèges communaux, portée par un noyau de chercheurs qui réfléchit à la manière de rendre les espaces publics plus égalitaires et inclusifs. Car des communes ont décidé d’en faire plus pour réduire les inégalités femmes-hommes. Elles sont convaincues qu’offrir un meilleur cadre de vie aux femmes, profitera, in fine, à tous les habitants.
Mais sans chiffres, sans investigation, ça se voit moins, ou peu. A la mi-mars, Le Vif a donc envoyé un questionnaire aux 60 plus grandes communes francophones, celles qui rassemblent plus de 20.000 habitants. L’objectif: connaître les localités les plus actives en la matière. Autrement dit, celles qui mènent des initiatives pour faire en sorte qu’elles soient plus accueillantes tant pour les femmes que pour les hommes. L’échelon local possède en effet un réel pouvoir dans la lutte contre les inégalités, de par ses domaines d’intervention et son rôle de proximité. La preuve: signataires de la Charte européenne pour l’égalité des femmes et des hommes dans la vie locale, élaborée en 2006 par le Conseil des communes et des régions d’Europe (CCRE), 2.038 municipalités sur le continent forment ainsi un réseau mobilisé contre l’inégalité des sexes. A ce jour, seize communes sollicitées par Le Vif ont adhéré à ce document, lequel les engage à construire un plan d’actions, dans les deux ans, et à intégrer le genre dans toutes leurs politiques. Un chiffre rachitique au regard des centaines de collectivités qui l’ont paraphé dans 36 pays d’Europe.
Une dizaine de localités ont adopté la Charte de l’égalité des chances dans les communes wallonnes, rédigée en 2013 et largement inspirée de la version européenne. D’autres, à l’instar de Koekelberg, Forest, Charleroi, Soignies, Saint-Ghislain ou Namur, ont prévu, parfois en sus, leur propre texte. Seul un petit nombre d’entre elles (sept) ne se sont dotées d’aucun texte.
20%
des 60 communes interrogées se démarquent par une politique volontariste et structurée pour plus d’égalité.
Des mesures concrètes ont-elles suivi la signature de ces textes? Deux tiers des communes ont donné suite à notre questionnaire. Douze (soit 20%) se démarquent parce qu’elles mènent une politique volontariste et structurée. Suit un groupe de localités qui ont pris des décisions positives. Mais celles-ci sont diverses, récentes, ou parfois ponctuelles, et ne permettent pas d’entrevoir un mouvement de fond. Puis il y a celles qui ont répondu à peu de questions. Tout cela donne des résultats en creux, sans doute parce qu’il leur fallait s’interroger sur des sujets qu’elles n’abordent pas souvent.
Le questionnaire reprend les grands principes de la charte européenne. Les questions portent d’abord sur l’équipe collégiale.
En Région bruxelloise, une ordonnance impose la parité au sein des collèges communaux, soit autant d’échevins que d’échevines (à une unité près en cas de nombre d’échevins impair). Mais elle prévoit aussi des exceptions, lorsque, par exemple, les listes formant la majorité ne comptent pas de membres d’un des sexes en nombre suffisant. Ou encore quand un échevin vient à être remplacé, son successeur n’est pas tenu d’être du même sexe que lui. Bref, il n’y a aucune obligation de résultat. Et cela donne ceci: on dénombre 67 échevines et 124 échevins, soit 35% de femmes et 65% d’hommes.
Finalement, alors même que le dispositif légal permet de n’imposer que le tiers, voire moins, d’édiles de l’autre sexe, la parité est atteinte à l’échelle de la Région. Au niveau local, la situation se révèle plus contrastée: sur les 18 communes analysées (sauf Schaerbeek, où les compétences n’ont pas encore été attribuées), huit collèges communaux sont majoritairement féminins, tandis que cinq sont majoritairement masculins.
En Wallonie, depuis 2018, le Code de la démocratie locale et de la décentralisation impose aux collèges de compter au moins un tiers d’élus du même sexe. Au sein des exécutifs locaux, il y a désormais 40,3% d’échevines. Mais le décret prévoit aussi une règle de l’arrondi à la baisse. Elle permet dans un collège de sept ou dix membres de n’intégrer que deux personnes au moins (pour sept) ou trois au moins (pour dix) de chaque sexe. Dans la pratique, sur la base de ce prescrit, la parité parfaite n’est atteinte que dans 7,3% des communes wallonnes. A l’inverse, dans 14,5% des exécutifs, les femmes sont majoritaires. Sur les 60 collèges analysés, quatre affichent une parité parfaite et huit sont majoritairement féminins.
Au rang des bourgmestres, on ne dénombre que 63 femmes, dont deux qui le sont devenues à l’occasion d’un retrait. En pourcentage, elles représentent 22% en Région bruxelloise et 21,8% en Wallonie. Il s’agit presque d’un statu quo en comparaison de l’avant-scrutin.
Pour l’échelon inférieur, le poste de premier échevin, bien que protocolaire, elles sont 24 à occuper la fonction au sein des 60 plus grandes communes sondées.
La majorité des portefeuilles les plus élevés sont occupés par des hommes.
20% d’échevines du sport
Les portefeuilles demeurent par ailleurs sexués. En dehors du sport, compétence moins cotée mais très masculine (80% d’échevins), la majorité des portefeuilles les plus élevés sont occupés par des hommes: l’énergie/le climat (78%), les travaux (75%), la mobilité (72%), l’urbanisme (70%), le commerce (63%), les finances/le budget/les marchés publics (62%) et la transition numérique (60%) reviennent aux messieurs. Ils représentent les plus gros budgets de l’échelon local: les hommes tiennent par conséquent les cordons de la bourse.
A l’inverse, les femmes détiennent des mandats souvent associés à la féminité: la petite enfance/la famille (68%), les aînés (65%), les affaires scolaires (62%), la santé (60%).
Quant à la présidence du CPAS, elle est, elle aussi, attribuée majoritairement à un élu (60%).
La plupart des collèges intègrent l’égalité entre les sexes dans leur propre secteur, en déléguant la matière à un échevin. Ce mandat, relié presque systématiquement à l’égalité des chances, est en général dévolu à une élue (80%). Seule une poignée de communes nomme une échevine chargée expressément de l’«égalité hommes-femmes», de l’ «égalité des genres» ou des «droits des femmes».
Enfin, il faut aussi examiner la situation à tous les étages, notamment celui des cadres locaux, fonctions clés de l’organe politique local. Il y a d’abord le plus haut grade communal, celui de directeur général (secrétaire communal en Région bruxelloise), et dont on dit qu’il est parfois le «vrai maïeur». A ce poste, la proportion de femmes s’élève à 35%. Autre position à responsabilités, celle de directeur financier (receveur communal en Région bruxelloise), occupée par un peu plus d’un tiers de femmes (35%).
Des budgets riquiqui
Pour porter la cause féministe localement, il faut également l’identifier: qu’est-ce qui fait qu’une politique est en faveur des femmes? Un volet de l’enquête s’intéresse aux actions menées pour inclure les femmes dans les décisions concernant l’urbanisme, l’aménagement du territoire ou la mobilité. Ainsi dans treize communes sondées, des marches exploratoires sont menées, au cours desquelles des femmes et des politiques arpentent leurs quartiers pour relever les obstacles à leur fréquentation de jour comme de nuit.
Dans seize d’entre elles, cette approche s’est intégrée aux politiques de la Ville, aboutissant à un conseil consultatif de l’égalité femmes-hommes (ou à une personne référente «égalité» au sein de l’administration communale). Ce dernier, qui n’a qu’un pouvoir d’avis, regroupe essentiellement des associations féministes qui font le lien entre le terrain et le politique.
Une série de questions concerne ensuite les moyens consacrés spécifiquement à l’égalité des genres. Ils sont riquiqui: moins de 1% –la plus grande partie du budget communal est allouée aux dépenses en personnel. Du moins, quand ils sont connus, car nombre d’entités ignorent les montants précisément destinés à ce poste. Elles estiment qu’il leur est impossible de les quantifier, considérant qu’une série de dépenses sont dévolues à l’égalité femmes-hommes sans être pour autant identifiables comme telles. Certaines mentionnent, dans ce budget, la sensibilisation aux violences conjugales, les formations aux stéréotypes de genre, dispensées aux élèves de leur réseau scolaire et aux personnels communaux, ou encore les subsides octroyés aux associations.
Offre masculine
Mais quand on aborde ce type d’informations, dans beaucoup de communes, on entre en terre inconnue, inexplorée. La question «Dans le total des licenciés des clubs sportifs bénéficiant de subsides de votre part, quelle est la répartition femmes/hommes?» recueille douze réponses, allant de 60% à 75% d’hommes. Quant aux équipements sportifs publics (terrains de foot, de basket, skate-parks, agora space, etc.) ou les piscines, les municipalités ne disposent pas de chiffres genrés. Seules Etterbeek, Bruxelles et Woluwe-Saint-Lambert –dans une moindre mesure Tournai, Ath, Wavre, Auderghem et La Louvière– fournissent un recensement plus précis.
Interrogées sur leur offre d’espaces publics sportifs, on constate d’ailleurs que celle-ci semble pensée –de façon inconsciente– pour les garçons et les hommes: football, basket, fitness et musculation urbaine, skate-park ou city stade, ouverts à tous mais, pratiquement, occupés majoritairement par les adolescents et les hommes. De fait, cela revient alors à accorder davantage de moyens aux loisirs des garçons. Néanmoins, plusieurs communes tentent de rectifier le tir. Auderghem a construit volontairement l’une de ses trois zones sportives pour y accueillir du sport «féminin» (gymnastique rythmique, danse, fitness…). Koekelberg, Liège ou Schaerbeek accordent des bonus aux clubs affiliant un nombre significatif de filles et de femmes. En sus, elles octroient un bonus au sexe le moins représenté, en doublant le chèque-sport des filles. La Ville de Bruxelles alloue des montants supplémentaires aux clubs qui ouvrent une section féminine. Ce qui a permis de voir le nombre de sportives augmenter. Charleroi et Etterbeek ont installé, dans l’espace public, des modules de «fitness doux». Woluwe-Saint-Pierre a sécurisé les parcours de course à pied en installant de nouveaux éclairages. Une offre adaptée notamment aux jeunes mamans, selon la commune bruxelloise, car elle présente une souplesse des horaires, à l’inverse des clubs subventionnés dont les heures d’ouverture sont quasi inconciliables avec les temps familiaux. A Saint-Gilles, enfin, les cours de récréation ont été végétalisées et, dans le même temps, réaménagées de manière plus égalitaire: coins plus calmes, coins avec assises, réduction des espaces dédiés au foot et introduction de nouveaux espaces de jeu plus mixtes.
A espace égal, on recense cependant trois fois plus d’urinoirs.
Du petit coin
Peu de données de fréquentation, donc. Or, ces statistiques sont fondamentales pour les décideurs de la Ville, les urbanistes ou les élus. Le «budget sensible au genre» (ou gender budgeting) est un outil permettant de matérialiser cet enjeu. Il s’agit, pour la commune, d’identifier, pour chaque dépense, si elle est neutre en matière d’égalités, si elle les réduit ou si elle les aggrave. Sur la base de cet outil, il est ainsi possible de mettre en place des dispositifs de soutien aux femmes ou aux hommes. Sa mise en œuvre reste marginale. Onze communes sondées ont intégré le genre dans leur processus budgétaire. En outre, six villes, dont Liège, Tournai et Charleroi, étudieraient sérieusement l’implémentation d’un budget genré.
Dans l’espace public, la «parité urinaire», selon l’expression anglo-saxonne, est loin d’être une réalité. Ce qui ressort d’ailleurs des marches exploratoires demeure le manque de toilettes publiques réservées aux femmes, gratuites et entretenues. Une vraie nécessité et pas uniquement pour les femmes, mais aussi pour les enfants, les personnes à mobilité réduite, les touristes, les SDF et les gens qui travaillent dans la rue.
Sondées sur la présence de WC dans leur localité, un quart (quinze) affirme avoir équipé le territoire de toilettes publiques réservées aux femmes. A espace égal, on recense cependant trois fois plus d’urinoirs. Ils prennent moins de place, mais le premier obstacle reste le prix: celui d’une toilette oscille entre 75.000 euros et 125.000 euros, sans compter les charges liées à l’entretien et à l’utilisation; celui d’un urinoir s’élève à 20.000 euros. Face à ce coût, des communes ont opté pour une solution de repli. A l’instar d’Etterbeek, de la Ville de Bruxelles ou de Liège, elles ont lancé, avec les commerçants, un «réseau de toilettes accueillantes» ouvert gratuitement au public. En contrepartie, les participants reçoivent un subside annuel de 700 euros à 1.000 euros.
… aux noms de rue
En Wallonie, en moyenne, 1% à 2% des rues dédiées à une personne le sont à une femme. A Bruxelles, selon une estimation d’Open Knowledge Belgium et le collectif Noms peut-être, le pourcentage s’élève à 7,9%. L’invisibilité symbolique se manifeste aussi dans les dénominations majoritairement des établissements scolaires, des monuments, des statues, des espaces verts, des salles communales… Les «scores» varient de 1% à 8,5%.
Cependant, la réflexion a réellement émergé au sein des communes, dont le conseil est le seul habilité à baptiser les voies publiques, que ce soit pour donner un nom à une nouvelle rue ou pour modifier un nom existant. Le processus implique également la Commission royale de toponymie et de dialectologie. Ainsi, plus d’un tiers des municipalités ont répondu «oui» à la question «La proportion de femmes ayant donné leur nom à une rue a-t-elle augmenté ces cinq dernières années?». Malgré le manque d’espaces pour les accueillir et les désagréments éventuels lors d’une «débaptisation», une vingtaine ont décidé d’en faire une priorité. Ainsi Liège a inauguré 19 nouvelles voiries de noms féminins, Namur et Auderghem, douze. La même impulsion concerne Koekelberg, Saint-Gilles, Forest, Etterbeek, Bruxelles, Ath, Soignies ou encore Ixelles. Un élan donc, même s’il faut un peu «tricher», en prenant en compte les espaces publics autres que les voiries. C’est déjà ça.
Le Top 12
1. Woluwe-Saint-Lambert
2. Bruxelles
3. Namur
4. Ixelles
5. Charleroi
6. Etterbeek
7. Saint-Josse-ten-Noode
8. Koekelberg
9. Liège
10. Forest
11. Woluwe-Saint-Pierre
12. Evere
Méthodologie
Notre enquête porte sur 61 communes francophones, les plus peuplées (plus de 20.000 habitants). La liste des douze communes les plus engagées en faveur de l’égalité femmes-hommes a été établie à partir d’un questionnaire. Celui-ci comprend 25 questions regroupées en chapitres. Cette liste résulte donc d’un cocktail de réponses «gagnant».
Les secteurs sondés
Politique: équipe communale et cadres communaux, échevin(e)s à l’égalité, conseil consultatif des femmes, marches exploratoires des femmes, noms féminins de rues, mesures visant à apporter une plus grande mixité femmes-hommes dans les espaces sportifs et de loisirs.
Finance: part du budget consacrée à l’égalité femmes-hommes, budget genré, formations aux stéréotypes, fréquentation femmes-hommes des clubs sportifs, lieux culturels, espaces publics.
Equipements: toilettes publiques réservées aux femmes, infrastructures de loisirs, espaces publics sportifs.