
Quand des influenceuses fétichisent et sexualisent la trisomie 21 à des fins commerciales: «Abject»
Sur Instagram et TikTok, des influenceuses utilisent désormais des filtres leur donnant des caractéristiques physiques proches de celles de personnes atteintes de trisomie 21. Un phénomène dénoncé par les associations de défense des personnes atteintes de handicap qui pose d’autant plus question, car le syndrome de Down est en fait utilisé afin de promouvoir des comptes OnlyFans.
Tirer profit d’un handicap qui vaut parfois aux personnes qui en sont atteintes d’être ostracisées. Voilà, en résumé, l’une des dernières tendances aperçues sur TikTok et Instagram. Le handicap en question est la trisomie 21, aussi appelée syndrome de Down. Depuis quelques jours, voire quelques semaines, les deux réseaux sociaux sont quotidiennement alimentés en vidéos et en photos d’influenceuses aux pauses lascives et aux comportements suggestifs semblant être atteintes de trisomie 21. Il n’en est pourtant rien. En réalité, ces images sont modifiées à l’aide d’un filtre.
Parmi ces vidéos, celle d’une cheerleader américaine. D’abord aperçue de dos, cambrée pour mettre en avant son corps svelte et ses fesses rebondies, elle se retourne, dévoilant le visage d’une jeune femme atteinte du syndrome de Down. Un texte commente: «Quand les garçons me regardent en secret, alors que je me change après l’entraînement, mais que les filles viennent à ma rescousse.»
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Une recherche rapide sur Internet suffit à retrouver les vrais comptes de la jeune femme mise en scène. Elle a dans le début de la vingtaine et n’est absolument pas trisomique. Pas plus que les nombreuses autres influenceuses et «fitness girls» qui usent de ce filtre. Une question reste toutefois pendante: utilisent-elles elles-mêmes ces filtres, ou leurs vidéos sont-elles détournées et postées par des personnes malintentionnées?
Si l’on reprend le cas de la cheerleader, les images postées sur son compte Instagram sont somme toute classiques, à savoir celles d’une jeune femme passionnée de sport qui partage des moments de vie avec sa communauté. Sa bio, en revanche, dit ceci: «Si mon entraîneur voit ça, je suis morte», et contient un lien renvoyant vers un compte OnlyFans. La miniature est sans équivoque, on l’y voit de dos, dans son uniforme de sport, les fesses à l’air. «Je suis une fille timide qui aime secrètement être regardée. (…) Ici, je montre tout. Oui, vraiment tout», commente-t-elle.
Attirer le chaland sur OnlyFans –ou toute autre plateforme où les contenus pour adultes ne sont pas censurés–, c’est aussi le but des vidéos transformées par le filtre «Down syndrome». Sur la plateforme, en revanche, les contenus érotiques, voire pornographiques, sont dépourvus de filtres, précise, à Newsweek, le porte-parole d’OF. «Ce genre d’images générées par l’IA ne serait pas autorisé», précise-t-il.
«C’est à la fois bizarre et étonnant. Mais la loi d’Internet est ainsi faite: tout sujet posté sur le web fait l’objet d’un équivalent pornographique.»
Thomas Depicker
La trisomie 21, un «handicap gentil»
Visiblement, le handicap suscite de l’intérêt, notamment sexuel. Sur Google Trends, les recherches pour «Down syndrome girl» ont progressivement augmenté depuis le début de l’année 2025, pour exploser entre la fin mars et le début avril. Dans une moindre mesure, le constat est identique pour les recherches «Down syndrome OnlyFans», ou encore «Down syndrome sex». Si ces tendances Google sont presque exclusivement en anglais, c’est que la trend TikTok et Instagram est, elle aussi, essentiellement anglophone.
Aucune des associations belges qui aident les personnes atteintes d’un handicap mental que Le Vif a contactées n’est au courant de ce phénomène. Elles en ont néanmoins toutes un avis très négatif. «Je tombe des nues, commente Thomas Depicker, de l’ASBL Inclusion. C’est à la fois bizarre et étonnant. Mais la loi d’Internet (NDLR: la «règle 34») est ainsi faite: tout sujet posté sur le web fait l’objet d’un équivalent pornographique. Ce qui est surprenant, cependant, c’est que ce type de contenu soit disponible sur le réseau public, et non sur le dark web.»
Cette tendance de détournement et de fétichisation du syndrome de Down ne le fait évidemment pas rire. Pas plus que son directeur, Mathis Petronin, qui préfère parler de personnes vivant une situation de handicap. «Celui-ci est perçu comme un « handicap gentil« , plus simple à vivre que d’autres, et aussi plus visuel, ce qui le rend facile à exploiter. Nous nous sommes déjà opposés à des récoltes de dons qui utilisaient l’image de personnes atteintes de ce handicap, mais là, c’est d’un tout autre niveau.»
Fétichiser, c’est augmenter les risques d’agression
Céline Legrand, mère d’un garçon de 16 ans atteint de trisomie 21 et directrice de l’association Jet 21, regrette que le handicap de son fils soit exploité de la sorte. Elle perçoit cela comme de la moquerie. Carmela Morici, fondatrice et présidente d’Alternative 21, elle aussi mère d’un enfant ayant le syndrome de Down, s’étonne que «ce handicap entre dans les canons de beauté». Il ne s’agit pour elle, ni plus ni moins, que d’une «instrumentalisation de la maladie, basé sur des clichés». Elle se questionne sur l’existence d’un tel filtre, et plus encore de son exploitation à des fins commerciales. «C’est parfaitement abject, et une preuve de méconnaissance totale du handicap», commente encore Thomas Depicker.
Pour la Dr. Amy Gaeta, chercheuse à l’Université de Cambridge, interrogée par Newsweek, cette hypersexualisation des femmes atteintes du syndrome de Down est dangereuse, car elle «peut [les] exposer (…) à un risque accru de préjudice épistémique, symbolique et matériel en propageant de fausses images». En outre, selon les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), les femmes porteuses d’un handicap font face à un risque important d’abus. En 2024, 39% des femmes américaines victimes de viol étaient atteintes d’un handicap au moment des faits.
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