Longtemps considéré comme ringard, le speed dating connaît un nouvel élan ces dernières années. Dans un bar, en pleine nature ou sur un terrain de padel, ces espaces de rencontre authentiques et sécurisés pallient les déceptions des applications virtuelles. Même la génération Z se laisse séduire.
Elles devaient révolutionner l’amour. Elles l’ont surtout empoisonné. Dix ans après leur popularisation (treize, pour la pionnière Tinder), les applications de rencontre semblent plus que jamais sur le déclin. Baisse du nombre d’inscriptions, valeur boursière en chute libre: Bumble & Co sont à la peine, désertées par des utilisateurs en proie à la «dating fatigue».
Entre rendez-vous ratés, profils louches et «ghosting» à répétition, ces plateformes virtuelles déçoivent plus qu’elles ne convainquent. «Les applis me rebutent, confirme Laura, sur un forum. J’ai souvent l’impression d’être au marché, poussée à choisir le morceau de viande le plus appétissant visuellement. Ce n’est pas vraiment ma façon d’aimer, ni de rencontrer.» Mais alors, s’interroge la jeune femme, «comment rencontrer des personnes qui partagent nos valeurs, tout en sortant de nos cercles habituels (amis, famille, boulot?)»
Une question que semblent se poser de nombreux célibataires, comme l’a constaté Valérie Cooreman, psychologue clinicienne, au fil de ses consultations. «Après trop d’années où la rencontre passait essentiellement par l’écran, les gens ont aujourd’hui besoin de sortir de ce monde filtré et algorithmé et de retrouver le réel, note la diplômée en psychopathologie. Beaucoup cherchent des rencontres qui passent par le regard, la voix, la présence.»
Cadre sécurisant
Une quête d’authenticité qui a poussé certains à tenter (ou retenter) l’expérience du speed dating. En Belgique, la formule connaît un véritable regain d’intérêt. «On compte environ 1.500 participants par mois, répartis sur 70 à 130 événements en Flandre et à Bruxelles, confirme Joni, event manager chez Dare, une plateforme créée en 2017. Ce succès s’est surtout confirmé ces trois dernières années, avec la création de 100 nouveaux événements supplémentaires par an.»
Un engouement auquel a également été confrontée Aline Van Roey, fondatrice de la communauté «Wellnest», qui rassemble plus de 26.000 membres sur Facebook. Face au nombre «incalculable» de messages reçus d’utilisatrices confiant leur lassitude des applis, Aline a lancé un premier speed dating le 14 février 2023. Un événément qui a affiché sold-out en un temps record et a débouché sur deux nouvelles éditions depuis lors. Le concept? Chaque participante doit venir accompagnée d’un homme de confiance issu de son entourage. Une sorte de «gage de qualité», censé assurer un espace de rencontre bienveillant et rassurant.
Un espace sécurisé qui offre davantage de place à la spontanéité, qu’ont bridée les applications de rencontre. «Ces plateformes ont généré un tas de croyances négatives autour de l’amour, déplore Florence Escavarage (1), fondatrice du centre de coaching Love Intelligence. Elles ont conduit à se méfier l’un de l’autre, à ne pas oser se livrer car « on ne sait pas à qui on a affaire ». Or ces comportements de self-control sont très contre-productifs pour la rencontre et limitent les possibilités de connexion émotionnelle authentique, loin de nos critères de choix traditionnels.»
Rando et padel
Et puis, «venir à deux, ça évite aussi les annulations de dernière minute, insite Aline Van Roey. Car participer à un speed dating reste une démarche assez courageuse.» En effet, contrairement au «confort» des applications, le speed dating suppose «une forme d’exposition immédiate, plus incarnée, plus exigeante émotionnellement, rappelle Valérie Cooreman. Cette rencontre sans filtre ni échappatoire peut être intimidante pour certains.»
Pour adoucir cette «mise à a nu», certains organismes ont décidé de sortir du carcan traditionnel du speed dating, qui débouche parfois sur une succession d’échanges formatés de table en table. Début 2025, Emilie Goffin a ainsi lancé «Rando-dating», qui propose des rencontres lors de balades en pleine nature. «Marcher côte à côte permet d’éviter les moments gênants, sans devoir absolument soutenir le regard de l’autre, note la fondatrice du projet. Les sujets de conversation arrivent plus naturellement, sans devoir passer par la traditionelle check-list « travail, enfants, hobbies ».» Loin des artifices de séduction (ni hauts talons, ni noeud pap), le «randonnée-dating» permet une rencontre sincère et authentique, poursuit Emilie Goffin. Et limite en outre les frustrations. «Si il n’y a pas de match amoureux, les gens se sont au moins mis en mouvement, ils ont pratiqué une activite physique et découvert un chouette patrimoine.»
Des arguments qui ont également poussé Olivia de Decker, fondatrice de «J’peux pas j’ai date», à intégrer une activité sportive à ses soirées de rencontres. «Depuis trois ans, les walking dinners sont précédés d’un tournoi de padel l’après-midi, confie la créatrice du concept. Le sport permet de briser la glace de manière ludique. Ca met aussi chaque participant sur le même pied d’égalité, quel que soit son métier ou son statut social.» Une nouveauté qui a suscité un «boom d’inscriptions», et également attiré davantage de profils masculins, parfois plus réticents à se lancer.
Nostalgie du passé
Globalement, ces initiatives modernes ont dépoussiéré l’image parfois «ringarde» du speed dating. Et ont permis d’attiré des publics plus jeunes. Frederic De Schryver, fondateur de FlashDate (devenu aujourd’hui HopToDate), le confirme: «Nos événéments, partout dans le monde, se rajeunissent de plus. En Irlande, les 25-35 ans sont mêmes devenus la catégorie d’âge la plus prisée.» En Belgique la croissance de ce groupe d’âge se confirme aussi, avec une augmentation de 23% par rapport à 2024.
Jean-Luc Beaumont, créateur de l’application Saylove, confirme ce rajeunissement. «J’ai été très étonné de voir des jeunes de 22 ans à mes événements de speed dating, confie le docteur en psychologie. Finalement, on assiste à un double retour en arrière, en rassemblant deux publics: les personnes plus âgées qui veulent revenir aux formes de rencontre du passé, et des jeunes qui n’ont jamais connu que le virtuel mais sont attirés par une autre conception de l’amour.» Un grand nombre de jeunes expriment une «forme de nostalgie d’un monde qu’ils n’ont même pas connu, observe Valérie Cooreman. Celui où la rencontre se faisait par hasard, sans algorithme. Ils aspirent à l’imprévu, à l’émotion non programmée, en réaction à l’hyper-contrôle et à la surexposition de soi.»
Bref, le concept s’est aujourd’hui totalement modernisé… et normalisé. «Il y a 20 ans, quand je disais que j’organisais des speed dating, beaucoup de mes amis refusaient de participer, en affirmant « je ne suis pas encore arrivé à ce stade de désespoir », note Frederic De Schryver. Aujourd’hui, ça sonne plutôt cool. Certains regrettent même de ne pas pouvoir participer car ils ont déjà un partenaire», sourit l’organisateur. Et Jean-Luc Beaumont de confirmer: «Avant, aucun participant ne voulait être filmé ou partager son témoignage face-caméra. Aujourd’hui, ce n’est plus que la moitié. Ca prouve que la honte s’est relativement dissipée. Et c’est tant mieux!»
(1) Autrice de Love Intelligence, 10 piliers pour construire et réussir sa vie amoureuse, Editions Larousse.