La conversation est la matière première de la sociabilité. © Getty Images

La conversation risque-t-elle vraiment de disparaître à cause de l’addiction au smartphone?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le sociologue David Le Breton documente les indices d’une déperdition des échanges de «visage-à-visage» qui aurait des conséquences sociales catastrophiques.

L’addiction au smartphone va-t-elle tuer la conversation? «Chacun est en permanence derrière son écran, même en marchant en ville, l’expérience de la conversation et de l’amitié se raréfie», observe le sociologue David Le Breton, qui le redoute dans La Fin de la conversation?.

«Dans le monde contemporain de l’hyperconnexion, les conversations qui sollicitent un face-à-face ou plutôt un visage-à-visage, une écoute, une attention à l’autre, à ses expressions, deviennent rares», développe l’auteur. D’une part, du fait du temps de plus en plus long passé sur les réseaux sociaux, «l’hyperindividu contemporain ne perçoit que de manière accessoire son environnement physique et humain». D’autre part, même quand il est physiquement présent à un temps de conversation, il ne cesse, de plus en plus souvent, de scruter les notifications de son smartphone, la rendant impossible. Or, la conversation est une école de la vie. «Elle sollicite une reconnaissance plénière de l’autre à travers l’attention à son égard sur un pied d’égalité, d’écoute réciproque, de complicité éventuelle, qui n’exclut nullement le débat, les controverses.» A contrario, dans «la communication», ainsi que David Le Breton nomme les discussions sur les réseaux sociaux, «la suppression du corps de l’autre dans l’échange supprime toute gêne, tout préjugé, toute timidité à son égard, et cela d’autant plus que […] dans maintes connexions sur les réseaux sociaux, nul ne sait réellement qui est au bout de l’écran».

«Avoir son père souvent connecté envoie le signal à l’enfant qu’il ne faut pas trop compter sur les autres.»

David Le Breton estime dès lors que «nous vivons une profonde rupture anthropologique». Il en donne plusieurs illustrations. La plus effrayante est l’impact de cette désocialisation pour les enfants, inspirée par l’observation de l’attitude de parents accaparés par leur smartphone lors de sorties et distraits ainsi des attentes de leurs petits. «Avoir son père ou sa mère souvent connecté(e) envoie le signal qu’il ne faut pas trop compter sur les autres, même les plus proches. L’enfant y apprend qu’il est légitime de laisser tomber ses interlocuteurs car l’important est ailleurs», assure le sociologue. On pourra trouver La Fin de la conversation? trop alarmiste. Certaines évolutions n’en restent pas moins inquiétantes.

© DR

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