Manifestation des ouvriers d’ArcelorMittal, abandonnés par la gauche, contre la fermeture de l’aciérie de Florange, en 2012. © Getty

Comment l’indifférence aux inégalités mine la vie en société

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’économiste Thomas Piketty et le philosophe Michael J. Sandel dénoncent la responsabilité de la gauche dans le creusement des inégalités. Peut-elle se ressaisir?

La question des inégalités est au cœur de nombreuses actualités. Il y a ceux qui s’en accommodent, les considérant comme un avatar imparable du capitalisme, et ceux qui voient en elles un danger majeur pour la démocratie. Le philosophe politique américain Michael J. Sandel et l’économiste français Thomas Piketty appartiennent à la deuxième catégorie et dessinent des pistes de solutions pour les réduire dans un tonifiant dialogue organisé en mai 2024 à l’Ecole d’économie de Paris et reproduit dans Ce que l’égalité veut dire (1). Piketty rappelle que si les inégalités sont aujourd’hui considérables en Europe, aux Etats-Unis, en Inde…, «sur le long terme, c’est un mouvement vers davantage d’égalité que nous pouvons observer», résultat de luttes sociales pour l’égalité d’accès à l’éducation, à la santé, au vote ou à la citoyenneté. Les progrès ont-ils été moins marqués dans la lutte contre les inégalités de revenus? Le constat qu’en Europe, les 10% les plus riches accumulent 33% des revenus et 50% du patrimoine le démontre.

«Les personnes aisées et celles qui ont des moyens modestes vivent de plus en plus à part.»

Les deux auteurs en attribuent la principale responsabilité aux dirigeants de «gauche», le Parti démocrate aux Etats-Unis et les formations sociales-démocrates en Europe, car les présidences de Bill Clinton et de Barack Obama «ont légitimé le tournant néolibéral de Ronald Reagan» et parce que Tony Blair, en Grande-Bretagne, et Gerhard Schröder, en Allemagne, «n’ont pas remis en cause le présupposé fondamental […] du triomphe du marché». La social-démocratie aurait aussi fauté en sacralisant la méritocratie qui, pour Michael J. Sandel, «encourage l’hubris chez les gagnants en même temps qu’elle humilie les perdants qui se voient dire, et peuvent être eux-mêmes persuadés, qu’ils sont responsables de leurs difficultés». Pour le philosophe, ce régime d’inégalité inédit aurait pour conséquence que «les personnes aisées et celles qui ont des moyens modestes vivent de plus en plus à part les unes des autres».

Pour combler ce gouffre grandissant, les auteurs avancent comme solutions un accès accru à l’enseignement supérieur et à la fonction politique, un impôt progressif, une contribution de solidarité des plus grandes fortunes et entreprises et un réinvestissement de la gauche dans la défense des travailleurs. Car, face à la Chine fossoyeuse d’emplois dans les pays occidentaux, c’est… Donald Trump qui s’est révélé leur meilleur protecteur, pas les démocrates américains.

(1) Ce que l’égalité veut dire, par Thomas Piketty et Michael J. Sandel, Seuil, 144 p.
© DR

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire