Faire la fête à 11 heures du matin en tenue de sport? C’est la tendance en vogue chez les coureurs de la génération Z, en quête d’expériences alternatives et d’un mode de vie sain. © Noemie Kreitlow  

Bière gratuite pour les coureurs, «morning coffee rave»: comment l’Horeca surfe sur la mode du running

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Entre événements réservés aux joggeurs et actions promotionnelles lors des courses officielles, l’Horeca capitalise sur l’essor du running. Une manière de gagner en visibilité, tout en répondant aux nouvelles exigences des jeunes générations.

Un DJ set électrisant, un dancefloor bondé et une ambiance à faire pâlir les plus grands festivals. L’espace d’une matinée, cette boulangerie bruxelloise a pris des allures de boîtes de nuit. A quelques détails près. Ici, pas d’alcool ni de paillettes. Les cafés corsés et les smoothies ananas détrônent les shots de vodka. Exit les tenues de soirée, place aux leggings de sport et aux montres connectées. Essoufflés, les 400 coureurs aux joues encore rosies par l’effort se ruent vers un buffet de viennoiseries et de pain au levain. «L’idée est de montrer qu’on peut faire la fête un samedi matin, de manière plus saine et sans alcool, explique Olga Khoubaeva, marketing manager chez Pain Quotidien. Et surtout, de la combiner à une activité sportive.» Pour l’événement, le troisième du genre, la chaîne de restauration belge s’est associée au club de course à pied Lucky Stride, basé à Anvers. «Après 80 personnes au premier rassemblement, et 150 au deuxième, on pensait en accueillir 250 cette fois. Finalement, ça a pris beaucoup plus d’ampleur que prévu», se réjouit l’organisatrice.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Ces derniers mois, ces collaborations se multiplient aux quatre coins de la Belgique. A Liège, le Fox Running Club organise –en parallèle de ses rassemblements hebdomadaires– une série d’activités sportives en partenariat avec des établissements Horeca locaux. «On avait vraiment envie d’allier nos deux passions, courir et manger», résument Justine et Farid, les cofondateurs du club. Pour la prochaine édition, le départ est prévu au coffee bar Grand Maison, où les participants pourront se délecter d’un café et d’un cookie avant les épreuves, puis d’un sandwich et d’un club maté à l’arrivée. «Sur le plan sportif, chacun y trouve son compte, assurent-ils. Il y a un podium pour les plus compétitifs, mais si certains mettent deux heures à boucler les défis, ce n’est pas grave. Seuls la convivialité et le moment partagé autour d’une nourriture de qualité comptent.»

Un café (ou une bière) gratuit?

Sur le plan commercial, les cafés ou les bars partenaires en sortent également gagnants. S’ouvrir à la communauté des «runners» est un gage certain de visibilité. Car en Belgique, comme ailleurs, la course à pied n’a jamais rencontré un tel succès. Le nombre record de participants attendus aux 20 kilomètres de Bruxelles (et la vitesse à laquelle se sont écoulés les dossards) confirment cet engouement spectaculaire. Une «hype» qui a donné des idées à Thomas Trothen, administrateur du Rooftop 58, niché en plein cœur de la capitale. Dimanche, l’établissement offrira une bière ou une boisson non alcoolisée aux coureurs des 20 km, sur présentation de leur médaille. «On voulait marquer le coup et féliciter les participants, qui seront vraiment les héros du jour», insiste le Bruxellois. Une action promotionnelle loin d’être unique en son genre: rien que pour les 20 km de Bruxelles, une dizaine de coffee bars, restaurants ou cafés mettront les sportifs à l’honneur.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Un concept qui a déjà porté ses fruits lors du marathon de Namur. François Collard, fondateur du café de quartier Madeleine, proposait un smoothie protéiné à -50% aux finishers. «Je savais que ça allait être une journée compliquée, car l’événement rassemblait la foule dans le bas de la ville, confie le jeune Namurois. Grâce à cette action marketing, j’ai pu ramener du monde dans mon établissement et, surtout, faire connaître mes produits à un public sportif.» Une première étape cruciale pour le gérant, qui lance son propre club de running à partir de la mi-juin. Des sorties seront organisées deux à trois fois par semaine au départ du café. «Ces courses s’adressent tant aux débutants qu’à ceux qui n’aiment pas courir seuls, ou qui veulent découvrir des chemins sympas dans la ville, précise François Collard. L’objectif est de les connecter entre eux. Ici, c’est la dimension sociale, plus que sportive, qui prime

Ces initiatives sociales sont en phase avec un «retour à des valeurs communautaires», analyse Sandra Rothenberger, professeure de marketing à Solvay (ULB). «Les coureurs cherchent surtout à partager un moment collectif, convivial et sans pression, observe l’experte. Après l’effort, l’envie de se retrouver autour d’un café ou d’un brunch renforce le sentiment d’appartenance à un groupe. C’est une forme de « communisme doux » urbain, où le sport devient prétexte au lien social.»

Répondre aux besoins de la Gen Z

La tendance confère en outre aux établissements un cachet sportif, ou à tout le moins «healthy». «L’Horeca est souvent associé à la malbouffe et à l’alcool, déplore Thomas Trothen. Mais ça ne se résume pas qu’à ça. En organisant une action qui met le sport et un mode de vie équilibré à l’honneur, ça donne une image plus saine que celle renvoyée par l’Horeca d’il y a 30 ans. Ça montre à notre clientèle qu’on se réinvente et qu’on est en phase avec les nouvelles tendances

«L’Horeca est souvent associé à la malbouffe et à l’alcool. En organisant une action qui met le sport et un mode de vie équilibré à l’honneur, ça donne une image plus saine que celle renvoyée par l’Horeca d’il y a 30 ans.»

Car cette quête d’un mode de vie plus sain résonne largement chez les jeunes, en particulier chez les 18-30 ans. «Dans nos enquêtes, on observe une vraie demande des jeunes générations pour une alimentation plus équilibrée et locale, et moins centrée sur l’alcool», confirme Olga Khoubaeva du Pain Quotidien. Un constat partagé par Thomas Trothen. «C’est vraiment dans l’ère du temps, abonde l’administrateur de Rooftop 58. Les jeunes ont envie de prendre soin de leur corps, donc on tente de s’adapter et de répondre à leurs besoins, notamment en diversifiant notre offre de produits sans alcool.» Outre les mocktails et les softs, l’Horeca investit également dans les aliments protéinés (smoothie, pain…), taillés sur mesure pour les coureurs. «Ces produits créent une connexion entre le monde du café et le monde sportif, ce qui est exactement l’objectif recherché», plussoie François Collard.

Des concepts «instagrammables»

Surfant sur cette tendance sobre et saine, les «morning raves» –un concept de fêtes électro matinales sans alcool ni drogue importé du Royaume-Uni– ont le vent en poupe. S’ils n’incluent pas systématiquement une dimension sportive, la participation à ces événements est montée en flèche (+200%) entre 2022 et 2025, selon la billetterie Eventbrite. Ces moments festifs alternatifs, souvent organisés dans des lieux atypiques (boulangeries, transports en commun,…), collent parfaitement aux codes des réseaux sociaux, entraînant un gain de visibilité indéniable. «Certaines vidéos de nos événements ont cumulé près de cinq millions de vues organiques sur nos réseaux, se réjouit la marketing manager chez Le Pain Quotidien. C’est une belle exposition, plus efficace qu’une campagne de marketing classique.»

D’où l’importance, pour les clubs de running, de collaborer avec des établissements Horeca sensibles à ces codes numériques. «L’aspect instagrammable est devenu essentiel, remarque Sandra Rothenberger. Une esthétique soignée, des boissons tendance (matcha, latte colorés…) et une ambiance photogénique permettent aux participants de partager leur expérience, créant ainsi une forte visibilité organique.»

Une manière de renforcer le succès de l’événement, et surtout d’attirer une communauté jeune et connectée grâce à une «image moderne et désirable». Un pari assumé par Le Pain Quotidien. «Ces événements sportifs nous permettent de séduire une nouvelle clientèle, qui ne connaît pas toujours la marque, note Olga Khoubaeva. L’idée est de montrer une image fun et sympa de notre enseigne, tout en étant inclusif. En voyant les vidéos, tout le monde –jeunes et moins jeunes– adhère au concept même sans y participer.»

Du beurre dans les épinards

Pour les établissements Horeca, ce gain de visibilité est le bienvenu, dans un contexte économique toujours compliqué. «Après les crises successives, le backlash (NDLR: retour de bâton) a lieu aujourd’hui, déplore Matthieu Léonard, président de la Fédération Horeca Bruxelles. C’est maintenant que les grandes faillites vont arriver, tant que des mesures structurelles ne sont pas prises.» Pour le restaurateur, «tous les moyens» sont donc bons pour remplir son établissement et «faire rentrer de l’argent dans les caisses». Le président de la fédération salue d’ailleurs les actions organisées à l’occasion des 20 km de Bruxelles. «Les clients associeront les beaux souvenirs de la course à l’expérience Horeca, ce qui permettra peut-être de les faire revenir tout au long de l’année.»

Les collaborations entre l’Horeca et les clubs de running ont le vent en poupe. © Hans Lucas/AFP via Getty Images

Forte de son succès, la tendance pourrait-elle s’exporter à d’autres sports? «On pourrait voir des concepts similaires avec des disciplines accessibles et collectives comme le yoga, le vélo ou la marche rapide, ose Sandra Rothenberger. Mais le running reste aujourd’hui incontournable: il est simple, peu coûteux, praticable partout et rassemble une large communauté. Son image dynamique et inclusive en fait le sport idéal pour ce type d’initiatives.»

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire