Les mariages sans enfants gagnent en popularité en Belgique. Une décision qui crispe certains convives. © GETTY

Pour ou contre les mariages où les enfants ne sont pas les bienvenus? «Leur présence n’est bénéfique ni pour les uns ni pour les autres»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Pour célébrer le «plus beau jour de leur vie», certains mariés excluent les enfants de leur liste d’invités. Une manière de faire la fête en toute tranquillité, sans contraintes logistiques et financières. Au risque de heurter certains convives.

«Pour permettre aux parents de profiter pleinement de la fête, nous avons fait le choix de ne pas inviter les enfants.» C’est par cette formule subtile, glissée en pied de page d’un faire-part coloré, que Xavier et Louise (1) ont appris que leurs meilleurs amis avaient opté pour un mariage adult only. Une décision sans conséquence pour les jeunes trentenaires, sans bambin à faire garder le jour J. Reste que le concept divise le couple. «C’est leur choix, car c’est leur fête avant tout, concède Louise. Mais alors il ne faut pas s’étonner si certains invités ne viennent pas.» Xavier, lui, aspire à une fiesta arrosée avec sa bande de potes, sans bouts de chou dans les pattes. «Comme à la bonne époque.»

S’ils restent davantage l’exception que la règle, les mariages sans enfants gagnent en popularité ces dernières années. «C’est une formule assez récente qui a son petit succès, confirme Pome Rouillier, cofondatrice d’Albe Editions, média spécialisé en mariage. L’essor des concepts adult only, comme pour les hôtels, a permis de briser le tabou. Aujourd’hui, les mariés ont moins peur de froisser ou de gêner en formulant ce genre de souhaits.»

Allonger la liste d’invités

Les couples qui optent pour le no kids invoquent généralement une volonté de sérénité et de tranquillité d’esprit. Un choix personnel qui, s’il est imposé aux convives, l’est avant tout «pour leur bien». «Les mariés estiment que leurs invités auront ainsi l’opportunité de rester plus tard et de faire la fête plus librement», note Noémie Nys, organisatrice de mariage chez Dites-vous oui. Une réalité observée sur le terrain par Emilie, une consœur bruxelloise: «Personnellement, je conseille souvent cette option à mes clients, pour la simple et bonne raison qu’il y a une énorme différence d’ambiance, insiste la fondatrice de l’agence Paul & Albanne. Certains parents sont parfois contrariés par la formule, mais le jour même, neuf fois sur dix, ils remercient les mariés d’avoir pu lâcher prise sans se soucier de l’heure du retour.»

Pour les mariés, c’est aussi l’assurance de vivre pleinement les moments clés de la journée, sans risque de cris ou de pleurs intempestifs. Un argument qui vaut son pesant d’or à l’heure des cérémonies millimétrées. «Quand je dois organiser un échange de vœux avec quinze enfants en train de jouer à touche-touche, c’est compliqué, assure Emilie, qui officie également en tant que maîtresse de cérémonie. Les invités sont distraits et n’écoutent plus aussi attentivement.» Globalement, l’organisatrice estime que les enfants «n’ont pas vraiment leur place» dans ce genre d’événements. «Ils s’embêtent souvent plus qu’autre chose. Finalement, leur présence n’est bénéfique ni pour les uns ni pour les autres

Bannir les enfants de la liste d’invités limiterait en outre les contraintes logistiques, comme la confection d’un menu sur mesure ou le recrutement de baby-sitters chargés d’organiser des animations. «Certains lieux de réception n’acceptent les enfants qu’à la condition d’un encadrement par des nounous, pour des raisons de sécurité, assure Noémie Nys. C’est le cas, par exemple, quand le vin d’honneur se déroule près d’un point d’eau ou d’un étang. Les contrats de location sont stricts à cet égard.» Dans le cas de salles de mariage plus étroites, refuser les enfants permet en outre d’allonger la liste des convives. «Dans certaines familles, il peut rapidement y avoir une trentaine d’enfants, note la wedding planner. Les inviter, c’est faire une croix sur 30 amis potentiels.»

Le dilemme des exceptions

Pour d’autres couples, l’option adult only s’avère «une manière de réduire la facture», estime Pome Rouillier, étant donné que les coûts des mariages ont «énormément augmenté ces dernières années». Mais dans une célébration à 10.000 ou 20.000 euros, les dépenses liées à la présence d’enfants «ne font pas une grosse différence», nuance Emilie. «Les plats pour les enfants proposés par les traiteurs ne coûtent pas très cher, précise-t-elle. On tourne aux alentours de 25 à 30 euros par enfant, auxquels il faut aussi ajouter l’animation éventuelle, mais ce n’est pas ça qui plombera le budget.»

Mais les mariés qui se laissent séduire par un no kids wedding doivent réaliser qu’ils prêtent le flanc à la critique. Refuser les enfants, c’est aussi faire une croix sur une partie de la famille. Une formule qui mène parfois à poser des choix cornéliens. Clara (1), qui a célébré son mariage il y a deux ans, se souvient de tensions particulièrement vives avec sa cousine, qui n’était autre que sa témoin. «Je suis la marraine de sa fille, mais je ne me voyais pas, par souci de justice, dire que ma filleule était autorisée à participer et pas les autres», confie-t-elle sur un forum. L’incompréhension a laissé place aux critiques, puis aux menaces. «Elle a eu des paroles très dures envers moi et a dit que son mari ne viendrait pas si l’on ne faisait pas d’exception pour la petite. J’ai beaucoup culpabilisé…»

Des frictions qui témoignent d’une confrontation de valeurs, tant familiales que sociétales. «Il y a une certaine ambivalence à vouloir célébrer l’amour entourés de sa famille mais en excluant les enfants», reconnaît Pome Rouillier. Une «dualité» qui peut logiquement blesser certains invités. «Dans l’imaginaire collectif, fonder un couple et l’institutionnaliser lors d’un mariage devrait implicitement déboucher sur une vie familiale avec enfants, ajoute Charlotte Debest, sociologue de la famille et des parentalités. Certains peuvent donc estimer que les mariés qui optent pour un mariage « entre adultes » rejettent en quelque sorte ce schéma, ou du moins, renvoient un comportement en contradiction avec celui-ci.»

«Une représentation très binaire»

Ces tensions peuvent en outre révéler une vision différente de la place que devraient occuper les enfants dans la société. «Exclure les enfants, c’est supposer qu’ils sont vraiment très différents des adultes et que les deux sphères ne peuvent pas communiquer entre elles, observe Charlotte Debest. C’est une représentation très binaire de ces deux mondes, qui renforce les clivages entre les différents espaces sociaux, comme si une cohabitation naturelle était impossible.» Une vision qui «discrimine les enfants et les familles, et majoritairement les mères qui sont les plus souvent en charge des enfants», estime la sociologue. Avec d’inévitables répercussions organisationnelles. «Derrière, il va falloir payer pour ce choix, que ce soit en faisant appel à la solidarité familiale pour garder l’enfant ou en déboursant de l’argent pour une baby-sitter», rappelle Charlotte Debest.

«Il y a une certaine ambivalence à vouloir célébrer l’amour entourés de sa famille mais en excluant les enfants.»

L’essor des mariages «sans enfants» témoigne également des exigences de plus en plus fortes qui pèsent sur l’éducation des enfants. «Aujourd’hui, il faut absolument qu’ils se couchent tôt, qu’ils respectent leur rythme biologique, qu’ils ne boivent pas de sodas et se brossent bien les dents avant de dormir, note Charlotte Debest. En les bannissant d’un mariage, c’est comme si on ne pouvait imaginer qu’ils dérogent à ces injonctions.» Alors que par le passé, les enfants assistaient au mariage jusqu’au bout de la nuit, et tant pis s’ils s’endormaient pendant que leurs parents se déhanchaient sur Les Démons de minuit.

Pour Pome Rouillier, la clé pour éviter les tensions résiderait dans les «solutions sur mesure». «Pourquoi ne pas convier les enfants à l’apéro, mais proposer de les faire garder pour la suite de la soirée? On peut trouver certaines formes de flexibilité.» Et si le adult only reste souvent l’option privilégiée par les mariés, l’essentiel est d’en informer rapidement –et subtilement– les convives.

(1) Prénoms d’emprunt.

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