Quand des parents annoncent leur séparation à 50 ans passés, leurs enfants sont parfois pris de court. Ce bouleversement peut redéfinir leur vision de la famille et du couple, tout en les confrontant à des situations et des émotions difficiles à appréhender.
«Je suis partie chez une amie. Ton père vient de me quitter.» Julie se souvient encore très bien de ce message envoyé par sa mère. Un soir de 2022, la trentenaire a été percutée de plein fouet par l’annonce de la séparation de ses parents, ensemble depuis 40 ans. «Même s’il ne nous l’a jamais dit, mon père est parti car il a rencontré quelqu’un d’autre», précise la jeune femme. S’en est suivie une période difficile à gérer pour elle et sa sœur aînée. «Notre mère nous appelait plusieurs heures par jour. Il n’y avait plus de filtres, elle nous confondait avec un psychologue et passait son temps à enfoncer mon père, qui tentait de son côté de se défendre. Il nous a fait comprendre qu’il ne l’aimait plus depuis longtemps, mais qu’il était resté avec elle «pour nous». Sauf qu’on ne le lui avait jamais demandé!» Trois ans plus tard, Julie reste profondément marquée par ce divorce tumultueux: «Mes parents ont toujours été mon modèle de vie, de réussite. Cela a remis énormément de choses en question sur ma façon de percevoir la famille ou le couple.»
Des «divorces gris» en hausse
En 2023, 20.034 divorces ont été prononcés en Belgique. Près d’un tiers de ces séparations concernaient des couples où les deux partenaires avaient au moins 50 ans (5.509) selon Statbel, confirmant une tendance observée depuis plusieurs dizaines d’années dans de nombreux pays occidentaux: les divorces «gris», en référence à l’âge des couples concernés et à leurs cheveux (parfois) grisonnants, sont de plus en plus fréquents. Entre 2012 (4.881) et 2023, ils ont progressé de 13% en Belgique, alors que le nombre total de divorces a baissé (26.145 en 2012). L’allongement de l’espérance de vie et l’évolution des mentalités, de la société ou encore de la structure familiale sont autant d’explications à ce phénomène. «Les seniors d’aujourd’hui ne ressemblent pas à ceux d’hier et sont moins emprisonnés dans un carcan culturel ou religieux. La notion de liberté et la recherche de la joie de vivre sont plus importantes qu’auparavant», résume Serge Guérin, sociologue spécialiste du vieillissement.
Ces séparations restent parfois une épreuve difficile à traverser pour les enfants, bien qu’ils soient eux-mêmes adultes et qu’ils construisent leur propre vie. «Cela peut être vu comme l’effondrement symbolique de la famille, l’un de leurs piliers, réveiller des angoisses et les amener à se demander: « Et si tout ce que j’avais connu de bien avec mes parents n’avait pas de sens? Et si j’étais amené à reproduire la même chose dans ma vie de couple? »», analyse le psychanalyste Christian Richomme, selon qui le départ des enfants du domicile familial peut être l’un des éléments déclencheurs d’une envie de renouveau pour l’un des parents. «Il faut savoir renoncer à l’idéalisation du couple parental», complète la psychothérapeute Agathe Fourgnaud, autrice de Le Jour où mes parents ont divorcé, où elle interroge des adultes ayant vécu le divorce de leurs parents quand ils étaient enfants. «C’est important d’échanger avec ses parents, pour tenter de comprendre la situation et de trouver un nouvel équilibre familial, tout en évitant de leur faire la leçon, ce n’est pas notre rôle en tant qu’enfants.»
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«Enfant, tu subis plus le divorce»
Dans les faits, cela n’est pas toujours aisé. «J’ai eu l’impression d’être une petite fille qui perdait tous ses repères quand mes parents ont divorcé après 30 ans de vie commune, je l’ai très mal vécu», se souvient Charlotte, encore très émue au moment d’en parler. «Tristesse, colère, sidération, impression d’être prise en étau… Comme chez les jeunes enfants, beaucoup de sentiments peuvent se mélanger chez les adultes dont les parents divorcent», approfondit la thérapeute de couple Stéphanie Walker. «Mais il y a aussi parfois une sorte de soulagement, car les parents ne s’entendaient plus et ce n’était plus tenable pour personne.» Nicole se reconnaît parfaitement dans ce dernier cas de figure. Elle était même «très heureuse» de voir ses parents divorcer à plus de 60 ans, alors que le comportement de son père avec sa mère était «insupportable». «Ils sont restés longtemps ensemble car ils avaient une entreprise. Ma mère a pris sur elle et a tenu jusqu’au mariage de mon frère: il leur avait demandé de ne pas divorcer avant, je n’ai jamais compris pourquoi… La semaine après ce mariage, elle était chez une avocate», se souvient cette maman de deux enfants, qui s’est toujours demandée pourquoi sa mère restait avec son père.
L’implication dans la séparation des parents peut être non désirée et difficile à vivre pour un adulte, à l’image de Charlotte. «C’était bizarre de devoir rassurer ma mère, quittée par mon père. Elle m’a beaucoup sollicitée. Normalement, c’est quand ils sont beaucoup plus vieux, avec peut-être des problèmes de santé, que tu t’inquiètes pour tes parents. Là, j’ai eu l’impression d’avoir été moins préservée que si j’avais été enfant», se remémore la jeune femme.
«Un enfant reste toujours dans une relation asymétrique avec ses parents, peu importe son âge, et sa place n’est pas « dans » le couple. Il y a des choses dans lesquelles on ne peut pas les impliquer, pourquoi rajouter du chaos alors qu’il en existe déjà dans certaines de ces séparations?», se demande Stéphanie Walker, en s’adressant ici autant aux parents qu’aux enfants. Un avis que ne partage pas Nicole: «Quand on est adulte, on peut davantage protéger un parent si ça se passe mal et qu’il en a besoin. On ressent peut-être moins de colère aussi, car on a sa vie à côté et on n’est pas « coincé » au milieu de cette séparation. Enfant, on ne peut rien dire, on subit la situation.»
Logistique et petits-enfants
Prendre de la distance reste la solution que certains privilégient. «Aidés» par l’éloignement géographique, pris par leur carrière professionnelle ou leur propre famille, ils ne peuvent ou ne veulent pas s’immiscer dans un processus ne leur appartenant pas. «Comme mes parents vont vendre la maison et la vident, ils nous sollicitent pour savoir ce qu’on veut garder. Mais c’est tout, avec ma sœur nous n’avons aucun autre rôle», explique Florent* depuis l’étranger, où il suit de façon «détachée» cette séparation, annoncée au téléphone par sa mère qui «n’était plus heureuse et a ressenti le besoin de sortir du cadre établi du couple pour faire face à la vie». «Je ressens un peu de tristesse, pas tant pour la séparation, mais par rapport au mal-être de ma mère, ce qu’elle a dû ressentir pour en arriver là», ajoute-t-il, concédant que de nouvelles questions «logistiques», finalement inhérentes aux divorces à tout âge, se poseront désormais: «Ce sera un peu d’organisation à anticiper quand je les verrai et qu’ils habiteront dans deux logements.» Il a aussi fallu trouver les mots pour expliquer la situation à son fils de 4 ans, même si ses parents espèrent continuer les événements familiaux tous ensemble.
«Ce n’est jamais très simple quand il y a des petits-enfants en bas âge dans l’équation, concède Christian Richomme. Pour eux, un grand-parent est « né vieux ». Il ne faut pas dramatiser mais le rassurer: l’enfant va concevoir la situation en fonction de la façon dont on la lui présente, la normalité correspond à ce qu’on va lui dire.» Ces divorces tardifs peuvent néanmoins avoir des conséquences insoupçonnées sur la famille, comme lorsque les parents de Sylvain* se sont séparés et ont décidé de déménager chacun à l’opposé du pays: «On a perdu un moyen de garde très efficace. C’était tellement pratique de laisser notre premier enfant chez ses grands-parents quand on voulait sortir», glisse-t-il. Julie, elle, ne se voit de toute façon pas confier ses enfants à ses parents depuis leur séparation: «Ma mère doit désormais apprendre à se gérer seule et n’est plus apte émotionnellement. Quant à mon père, il ne fait aucun effort avec nous et est dans l’égoïsme pur», souffle-t-elle.
Ses neveux, qui passaient énormément de temps chez leurs grands-parents, ont particulièrement souffert de cette fragmentation. «Le fait d’être mère m’a permis de prendre du recul sur cette situation, en me disant qu’il fallait que je me concentre sur ma famille. Je n’avais pas à être le parent de mes parents et à devoir tout gérer», raconte-t-elle, assurant retenir une chose de ce divorce: «Si un jour je dois me séparer de mon mari, je ferai tout pour essayer de protéger mes enfants. Peu importe leur âge.»