A l’époque, de grands quotidiens français s’étaient enthousiasmés à l’arrivée des Khmers rouges, rappelle l’auteur. © LightRocket via Getty Images

Par le livre

Comment notre cerveau parvient à nier la réalité

François Janne d'Othée

Plus on est éduqué, plus on porte des œillères, défend Samuel Fitoussi dans un tonifiant essai sur les mécanismes qui conduisent à l’aveuglement.

Dans les années 1980, un chercheur américain a interrogé plusieurs centaines d’experts afin de recueillir leurs prédictions sur les décennies suivantes. Bilan 20 ans plus tard: «Leurs conjectures se sont avérées à peine plus précises que celles d’un chimpanzé qui aurait lancé des fléchettes au hasard», compare Samuel Fitoussi dans Pourquoi les intellectuels se trompent (1), un stimulant essai qui pourrait se résumer ainsi: non seulement l’intelligence ne protège pas de l’erreur mais elle peut l’encourager, et même conduire à l’aveuglement collectif. Et ce, sur tous les sujets. Jean-Paul Sartre est ainsi resté le maître à penser en Occident alors que les faits lui ont souvent donné tort, lui qui avait prédit en 1954 que le niveau de vie dans l’URSS dépasserait de 30 à 40% celui de la France. 

Comment peut-on se tromper à ce point ? En s’appuyant sur une riche littérature et de nombreux exemples, l’essayiste examine les mécanismes sociaux, culturels et cognitifs qui empêchent le cerveau de fonctionner correctement.

«L’estime que nous porte notre entourage nous importe presque plus que toute autre chose.»

A commencer par les œillères de l’idéologie qui font qu’on voit seulement ce qu’on veut voir. «Par exemple, si on est persuadé qu’il y a du racisme systémique, tout événement viendra renforcer cette présupposition. Le cerveau humain cherche sans cesse à confirmer ses a priori», accordant peu d’importance à la réalité susceptible de les réfuter. Un autre facteur est le conformisme social et le désir d’être approuvé par ses pairs. «L’estime que nous porte notre entourage continue à nous importer presque plus que toute autre chose», souligne-t-il. Quant à l’université, il pourfend ce «monde clos, autoréférentiel, où la réalité ne pénètre plus».

Certains objecteront que ses exemples d’égarements sont surtout choisis à gauche. Car les intellectuels progressistes sont les plus nombreux, soutient Samuel Fitoussi. Explication: ceux-ci «imaginent que les imperfections de notre société sont la preuve d’une faillite collective et donc qu’ils se doivent de déconstruire ce qui ne va pas» et reconstruire un nouveau narratif, tandis que les conservateurs «se méfient de tous les projets qui pourraient briser les fragiles arbitrages sur lesquels repose la civilisation». Mais ni les uns ni les autres ne sont immunisés contre les tragiques erreurs d’appréciation.

(1) Pourquoi les intellectuels se trompent, par Samuel Fitoussi, éd. de l’Observatoire, 270 p.

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