Le ministre de l'Intérieur Bernard Quintin photographié lors d'une visite à la zone de police de Liège le vendredi 11 juillet 2025.
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Attaque au couteau à Bruxelles, la fracture sur Gaza déborde sur la sécurité intérieure: «Nous avons alerté sur la polarisation de la société»

Un coup de couteau en plein cortège, des dizaines de milliers de participants lors des manifestations, des sondages montrant un fossé entre opinion et ligne du  gouvernement… Le clivage autour d’Israël et de la Palestine déborde sur la sécurité intérieure avec des risques d’attaques à caractère terroriste accrus, tandis que la coalition Arizona s’enlise dans une crise fédérale.

Ce dimanche 24 août, la foule brandissait ses pancartes dans la rue de Laeken, dans le centre de Bruxelles. Les slogans réclamaient un cessez-le-feu à Gaza quand soudain, un homme surgit. Avec son arme blanche, il s’en prend aux manifestants. Un jeune Gazaoui de 22 ans est grièvement blessé. Son pronostic vital étant engagé, il est évacué d’urgence. Dans la soirée, les médecins confirment que son état s’est stabilisé. «Les circonstances exactes de l’agression restent à déterminer», insiste Ilse Van de Keere, porte-parole de la police de Bruxelles. L’auteur des faits a été privé de liberté  et mis à disposition du parquet.

Depuis le lendemain du 7 octobre 2023, les rues de la capitale résonnent presque chaque jour des appels à la fin de la guerre, à la reconnaissance de la Palestine et aux sanctions contre Israël. Mais jamais une agression entre civils n’avait atteint un tel degré de violence. Jusqu’ici, les seules tensions venaient des dispersions policières, autour de l’ambassade d’Israël à Uccle ou lors de mobilisations spontanées. L’attaque du 24 août est donc un tournant. Pour les collectifs pro-palestiniens, c’est un signal d’alerte adressé au ministre de l’Intérieur, Bernard Quintin (MR). Les collectifs pro-israéliens partagent ce constat, mais pour d’autres raisons: une augmentation constante de l’antisémitisme en Belgique. Les deux camps s’accordent sur un point: leur clivage sur le conflit israélo-palestinien dépasse la lutte militante et partisane pour faire basculer la sécurité intérieure dans une situation périlleuse de lutte contre l’extrémisme et le terrorisme.

Services de sécurité en alerte

Le porte-parole de la Sûreté de l’Etat, Peter Gorlé, préfère ne pas se prononcer sur le caractère ou non terroriste de cette attaque à l’arme blanche, au vu de l’enquête judiciaire en cours. Mais il ne nie pas que l’enlisement dans la prise de position de la Belgique sur le conflit, accentué par une crise politique au sein de l’Arizona sur la question des sanctions contre Israël et de la reconnaissance d’un Etat palestinien, a des conséquences sur la sécurité intérieure. «Il n’est pas exclu que le conflit au Moyen-Orient débouche sur des actes terroristes ou extrémistes en Belgique. On ne se prononce pas sur des faits isolés surtout quand une enquête est en cours, mais il est raisonnable de penser que ce conflit puisse mener à une certaine radicalisation, et donc des faits de ce type. C’est un problème que l’on tient à l’œil

Une position qui change de la ligne alors partagée par la Sûreté il y a quelques mois à travers son Intelligence Report de 2024. «L’escalade du conflit entre Israël et le Hamas à Gaza et en Cisjordanie influence les sociétés belges et européennes. Les événements au Moyen-Orient catalysent la radicalisation et ont déjà provoqué des actions violentes dans plusieurs pays européens. Cela pourrait inciter des personnes à en commettre en Belgique.» Quelques mois après la publication de ces lignes survient le premier incident criminel entre civils, et le discours de la Sûreté s’en voit changé. On ne parle plus d’incidents possibles chez les voisins européens, mais bien de ceux qui pourraient encore survenir en Belgique, en attendant les résultats de l’enquête du parquet de Bruxelles qui déterminera le caractère de la tentative de meurtre de ce dimanche 24 août.

Le porte-parole de l’Ocam, Kevin Volon, reste lui aussi prudent sur la signification de cette attaque sur la situation de sécurité intérieure: «Ce qui se passe à Gaza et en Cisjordanie résonne fort ici. Il y a un débat politique au sein de l’Arizona et dans d’autres sphères de la société. La situation au Moyen-Orient a des conséquences sur la population belge. D’autant plus au sein des groupes qui propagent des discours extrémistes. Nous avons alerté sur la polarisation de la société. Un extrême nourrit l’autre. Ces derniers mois, nous avons vu une augmentation des signalements de menaces et de risques de passages à l’acte.» Il évoque un risque accru de violences, sur la base des alertes de l’agence fédérale qui évalue la menace terroriste et extrémiste en Belgique. Il souligne que les signalements sur le territoire belge visent majoritairement des citoyens de confession juive ou d’organisations pro-israéliennes.

La passivité, l’ennemi de la sécurité?

Au sein du MR, les lignes de fracture sont visibles. Bernard Quintin, ministre de l’Intérieur, s’est déclaré fin mai en faveur d’une reconnaissance de la Palestine. Une position plus ouverte que celle défendue par le président du parti, Georges-Louis Bouchez, qui campe sur une ligne de fermeté et conditionne tout geste diplomatique à la libération des otages et à la mise en place d’une autorité palestinienne excluant le Hamas. Le ministre de l’Intérieur reste prudent dans sa communication, refusant de lier directement l’attaque au couteau du 24 août à une urgence politique: «Nous ne souhaitons pas réagir sur cet événement ni tirer de conclusions trop hâtives. Pas de déclaration.» Mais son positionnement illustre le malaise d’un parti divisé, ce qui empêche la coalition Arizona d’adopter une position commune.

Cette immobilité politique contraste avec une société belge déjà fracturée sur le sujet. Selon le Grand Baromètre Ipsos pour Le Soir, RTL Info, VTM et Het Laatste Nieuws (juin 2025), 69% des Belges se disent favorables à des sanctions contre Israël, 12% se déclarent neutres et 19% s’y opposent. Un décalage qui alimente la défiance et accroît les tensions dans la rue. Pour les services de sécurité, cette absence de réponse politique nourrit un climat de polarisation dont les extrêmes tirent profit.

Dans l’attente des suites judiciaires de l’attaque au couteau, la prudence reste de mise. Il reviendra au parquet de Bruxelles de qualifier l’attaque et au juge d’instruction d’établir les responsabilités. Du côté de la sécurité, l’Ocam et la Sûreté actualisent leurs analyses, en tenant compte des rassemblements à venir et des répercussions politiques du dossier Gaza.

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