La professeure de philosophie Camille Dejardin explique pourquoi l’apprentissage est essentiel malgré l’accès facilité aux connaissances, notamment par l’IA.
«Après l’informatique puis l’essor du Web, laissant croire que le savoir n’a plus besoin d’être acquis puisqu’il serait toujours à portée de clic sur Internet […], le dernier cri de « l’intelligence artificielle » rend obsolète l’idée même de recherche. Le résultat final est servi sur un plateau, quand il n’est pas suggéré avant requête, diagnostique Camille Dejardin. Fort de cette promesse de facilité, de temps gagné et donc, croyons-nous, de liberté, nous acceptons de nous départir de l’effort même de connaître, de concevoir, de maîtriser, de comprendre, dans des champs qui étaient jusqu’ici tenus pour les prés carrés de l’intelligence humaine.» Dans A quoi bon encore apprendre? (1), la professeure de philosophie et docteure en science politique montre à contre-courant de cette tendance tout ce que la recherche de connaissances apporte à l’être humain.
«La finalité de l’apprentissage ne se réduit pas au résultat qu’il permet d’obtenir, argumente ainsi Camille Dejardin. Apprendre n’est pas tant assimiler un contenu que savoir examiner ce contenu: savoir chercher, d’abord, savoir estimer la valeur de ce qu’on a trouvé, ensuite.» L’autrice donne l’exemple du calcul mental: «Le problème qui s’attache à sa désuétude n’est pas de nous rendre incapables d’extraire de tête les racines carrées de nombres mirobolants […], c’est la perte des relations logiques et notamment des ordres de grandeur.» Au-delà de l’utilité immédiate de l’apprentissage, figurent tous les bénéfices plus profonds que l’être humain peut en tirer. Apprendre contribue à savoir le vrai, permet d’exercer son esprit critique, renforce sa faculté de jugement, aide à acquérir de la confiance en soi, favorise le sentiment d’être acteur de sa vie au lieu de la subir. Bref, apporte du bonheur, démontre en substance Camille Dejardin.
«Apprendre contribue à savoir le vrai, permet d’exercer son esprit critique.»
Selon ses partisans inconditionnels, l’intelligence artificielle nous promet «un homme augmenté». Et «pour s’augmenter, l’humain devrait s’effacer», l’acquisition de savoirs et l’aguerrissement des facultés étant disqualifiés. Pour Camille Dejardin, «l’ »augmentation » de l’être humain ne viendra pas de la délégation de ses facultés à d’autres que lui. Elle ne peut venir que du plein développement de ses potentiels, à force d’apprentissage(s) et d’ambition. Et ceux-ci, pour peu qu’on y accorde la valeur, l’attention et le soin nécessaires, sont immenses et sources d’une joie inépuisable.»
(1) A quoi bon encore apprendre?, par Camille Dejardin, Tracts Gallimard, 62 p.Lire aussi| L’intelligence artificielle rend-elle idiot?