Les supporters du FC Bruges ont commis des agressions racistes à Molenbeek. Tous les ingrédients étaient pourtant réunis pour que la fête vire au drame. © ISOSPORT

Agressions racistes des supporters brugeois à Molenbeek: anatomie d’une faille sécuritaire

Sylvain Anciaux

Bruxelles a été le terrain du côté le plus sombre du football ce dimanche, en marge de la finale de la Coupe de Belgique, où des supporters brugeois ont agressé des Molenbeekois sur base de leurs origines. Une journée noire pour une police bruxelloise prise de court, et une nouvelle pierre dans le jardin de la fusion des zones.

Tous les ingrédients étaient réunis pour que cette journée de fête du football vire au drame à Bruxelles: des supporters brugeois qui ont déjà démontré leur racisme par les actes et la parole par le passé, une présence depuis plusieurs heures (voire même la veille) en ville, de l’alcool à gogo et une police visiblement en sous-effectif. Pour couronner le tout, la rame de métro spécialement dédiée aux fans brugeois devant les amener jusqu’au stade Roi Baudouin a été saccagée, ce qui a permis à ceux-ci de s’en extraire et de tracer leur chemin eux-mêmes depuis la place Sainte-Catherine jusqu’au Heysel. Sur leur route, «ils ont choisi de passer par Molenbeek pour aller casser des figures, c’est un acte purement raciste», assure le bourgmestre bruxellois, Philippe Close (PS). Après le match, certains Molenbeekois ont voulu venger les leurs en les attendant à la sortie du stade, où ils ont généralement été cueillis par la police. Bilan du fiasco: 80 blessés, dont neuf à l’hôpital et un par balle, ainsi que 63 arrestations.

L’évènement n’avait donc rien de surprenant. Ce qui l’est, «c’est que Molenbeek n’aurait jamais dû être concernée par cette histoire, déplore Amet Gjanaj (PS), bourgmestre faisant fonction. Quand le métro qui devait amener les 800 supporters brugeois de la gare centrale à Sainte-Catherine a été vandalisé, il a fallu les faire attendre sur le quai. Et puis, quand ils ont vu plusieurs métros « classiques » leur passer sous le nez, ils se sont impatientés et une partie a décidé de faire route vers le stade à pied.» La suite est connue.

Un argument de plus pour la fusion des zones de police?

C’est également là que l’affaire prend, déjà, un virage politique en ces temps où le gouvernement fédéral entend fusionner les zones de police bruxelloises. David Leisterh (MR), formateur bruxellois et toujours en quête d’un gouvernement régional, a refait la promo d’un tel projet lors de son passage sur la matinale de Bx1. «C’est toujours le problème à Bruxelles quand il y a un problème de sécurité. C’est tellement facile, vu les nombreuses couches qui existent, de renvoyer la balle à une autre couche. A la fin, il n’y a pas de responsabilités qui sont prises et donc ça risque de se reproduire. D’où la réforme qui arrive, celle de la fusion des zones de police.»

Les responsabilités, les bourgmestres molenbeekois et bruxellois affirment sans concession les avoir prises. «Dès que les supporters sont sortis de la station à Sainte-Catherine, ils ont manifesté leur volonté de passer par Molenbeek, et les spotters (NDLR: policiers qui accompagnent constamment les groupes de supporters) ont informé que la situation évoluait très vite, raconte Amet Gjanaj. La circulaire définissant le nombre de spotters nécessaire pour chaque club en impose deux minimum. La zone de police Ouest dans laquelle s’inscrit Molenbeek a fait appel au dispositif football de la police Bruxelles-Capitale-Ixelles. J’ai pris contact avec Philippe Close, qui a collaboré et montré sa solidarité.» Le cabinet de son bourgmestre voisin rajoute que des policiers étaient déployés à plusieurs points de la ville. «On a immédiatement envoyé nos agents encadrer le déplacement à pied, mais on ne pouvait pas restreindre leur liberté de manière préventive».

Le ministre de l’Intérieur, Bernard Quintin (MR), a déclaré sur X que «les responsables des violences à Bruxelles devront être punis avec toute la sévérité de la loi.» Il assure également être en contact avec les autorités locales afin d’analyser la situation. Au Vif, son cabinet confirme ne pas vouloir faire de politique à ce sujet mais que «le projet du ministre est connu, et le fait d’avoir une capacité d’intervention plus forte ne vaut pas que pour les narcotrafics mais bien sur tous les événements de la capitale». Qu’en était-il, ce dimanche soir ? Généralement, dans ce genre d’événement à risque, une unité de commandement rassemble les chefs des zones concernées et désigne parmi ceux-ci un «Gold», qui chapeaute le tout. Ce n’était pas le cas pour cette finale de coupe de Belgique un peu spéciale, car Philippe Close était dans la cellule de commandement du stade Roi Baudouin pour monitorer le match et ses alentours et les autres équipes étaient au centre de crise régional, au centre-ville. «Quand j’ai donné l’ordre de charger, ça a pris deux minutes, on a évité les plus gros incidents, contient le bourgmestre bruxellois. J’invite David Leisterh à être plus respectueux des chefs de corps et de leur travail. Le problème, ce n’est pas Bruxelles, c’est Bruges. Je ne mets pas tout le monde dans le même sac, mais pourquoi a-t-on laissé les supporters problématiques venir?»

Les hooligans déjà connus

Ancien policier spécialisé dans les questions de radicalisme politique et des mouvements ultras et désormais doctorant de l’ULB et chercheur au centre Metice attaché au centre de recherche CeRePoi, Laurent Stas affirme que les supporters problématiques sont certainement déjà connus. «Il y a une banque de données qui reprend tous les supporters radicalisés que l’on connaît, et c’est pareil avec les syndicats qui viennent manifester à Bruxelles, on sait combien ils sont, ce qu’ils ont dans leur sac, ce qu’ils ont en main…» Et si les auteurs des agressions racistes à Molenbeek ce dimanche sont possiblement déjà connus, ils ne sont pas automatiquement interdits de stade, et la liberté de circuler est quant à elle incompressible.

Le ministre Quintin annonce dès lors que «nous travaillons à divers projets destinés à renforcer la sécurité, dont le renforcement de la loi football», déjà renforcée par Annelies Verlinden. Fin janvier 2022, Philippe Close déclarait déjà vouloir «une loi anti-casseurs» qui se baserait sur les mêmes fondements que la loi football en forçant les individus fichés comme hooligans à pointer dans les commissariats un jour de match. Dans un gouvernement où le PS siégeait, Paul Magnette avait finalement rétropédalé alors que le texte avait entamé son parcours législatif. A voir comment l’Arizona relance le débat, si elle le fait.

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