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5 jours, autopsie d’un amour: «Si elle avait été un mec cis, je la larguais sur le champ»

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

«Cinq jours, autopsie d’un amour» raconte une histoire d’amour, non pas dans son entièreté, mais en épinglant cinq jours dans la vie d’un couple. Parmi tellement d’autres, mais tellement révélateurs.

Ce mois-ci, Lucie (prénom d’emprunt) dissèque sa première véritable relation avec une autre femme.

Jour 1

6 février 2025

Au centième amant, j’ai arrêté de compter. Lorsque je me rends à cet apéro de la Maison Arc-en-ciel, ce jeudi-là, dans ma tête, je me dis que ma vie amoureuse est terminée. Mais que ce n’est pas grave. Parce qu’avec les hommes cis, qu’est-ce que je me fais chier! Les rencontres et échanges intellectuels peuvent échapper à la domination, mais pas les relations sexuelles. Tout tourne autour de leur queue, toujours. Le script ne varie jamais, quel ennui, je m’emmerde. Depuis que j’ai enfilé mes «lunettes de genre», je suis littéralement bouleversée par ce que le patriarcat fait des femmes.

Je ne veux plus relationner avec les hommes cis, même si je me sens encore attirée par eux. Malheureusement. Finalement, j’ai eu de la chance. Car si je rembobine, je n’ai été agressée «que» deux fois. La première, je dis «non pas ça», il me répond «si tu vas aimer». Et il le fait. La deuxième fois, le mec enlève la capote en plein acte pénétratif. Je n’ai pas porté plainte. Quelques années plus tard, ces faits nourrissent encore ma colère.

«Je me dis que ma vie amoureuse est terminée. Mais que ce n’est pas grave. Parce qu’avec les hommes cis, qu’est-ce que je me fais chier!»

Ma queerness est récente. Je me définis comme pansexuelle. Je n’ai eu qu’une seule relation avec une fille, il y a longtemps, dix ans. A l’époque, je ne possédais pas les représentations, ni les codes, alors j’avais fui. C’était vraiment bien, et j’avais été vraiment nulle.

Je fréquente la Maison Arc-en-ciel car je désire me retrouver dans un endroit plus safe. J’ai besoin d’autres relations. Elle tient le bar, elle est bénévole au sein de l’association. Elle est une dizaine d’années plus âgée que moi, et cela me change: d’habitude, je relationne avec des personnes plus jeunes. Mais je l’avais déjà repérée. Elle est hyper énergique, plutôt butch, très masculine dans son attitude. Lesbienne assumée, même si elle a déjà eu des relations avec des hommes. J’aime sa dégaine, la place qu’elle prend dans l’espace, son corps tatoué, ses ongles courts, son allure tonique, son indépendance, son sourire, sa voix posée. Pas de bijou, t-shirt large…

Notre première conversation porte sur nos enfants. Elle en a quatre. C’est marrant, ça ne colle pas avec l’image que je m’étais faite d’elle. Elle est tout à fait mon genre, mais je la sens distante, j’ai l’impression qu’elle me fuit. Je n’ai aucune chance.

Je quitte le bar, un peu déçue, mais contente d’avoir échangé avec des filles avec qui je n’aurais jamais parlé sans cet événement.

Jour 2

27 juin 2025

Il fait beau, c’est dehors que la soirée se passe. Mais il y a trop de bruit, d’agitation, alors je m’isole à l’intérieur. Elle tient toujours le bar. Elle rayonne, elle saute presque sur place. Je lui fais remarquer qu’elle a l’air particulièrement heureuse. «Oui, oui, j’ai rencontré une fille!»

Je ne peux pas m’empêcher de stalker celle qui semble tant lui plaire. Je veux savoir quel est son genre. Et ce n’est clairement pas moi: l’autre est brune, pleine de cheveux, je suis blonde, coupe courte. Elle: petite. Moi: géante. Je suis scientifique, elle est artiste. Et dans le monde queer, être artiste, c’est bien vu… Comme le fait d’être à mi-temps, alors que mes horaires sont serrés comme des gays sur un char de la Pride. Elle fait beaucoup la fête. Ça fait longtemps que je n’en ai plus l’énergie.

Je me sens beaucoup trop hétéra. Mes chances de lui plaire s’amenuisent. Pourtant, on a une vraie discussion, un bon feeling. Tout est fluide. Dommage.

Jour 3

9 juillet 2025

Ce café entre copines, en terrasse, dure finalement des heures. Toutes les deux en incapacité de travail, on discute de nos difficultés et épuisements professionnels respectifs. Elle passe par là, en fait elle bosse juste à côté, et s’arrête à notre table. Me prend dans ses bras comme si on était potes depuis dix ans. «Tu fais quoi à midi? On mange ensemble?» Pour une fois que je peux accepter quelque chose à l’improviste, en pleine journée!

Après le repas, je la raccompagne jusqu’à son boulot, mon vélo est garé juste en face. Elle me demande de lui envoyer un message quand je serai bien rentrée. Peut-être ne veut-elle que de l’amitié entre nous? J’ai l’impression qu’elle est désormais libre et qu’elle pourrait m’envisager.

Jour 4

13 août 2025

On est chez elle, on s’est pris un après-midi toutes les deux. Elle me dit: «On doit s’embrasser, là, maintenant». On ne l’avait pas encore fait, car elle m’avait déclaré vouloir «décider où et quand. Parce qu’après, ce sera trop tard, je serai amoureuse». Elle m’avoue que si elle était distante, au début, c’était précisément parce que j’étais exactement son genre et qu’elle ne se sentait pas prête à l’époque.

«Elle n’est pas fleur bleue, c’est carrément tout le champ de lavande.»

Si on ne s’était pas encore rapproché physiquement jusqu’à aujourd’hui, on s’était par contre beaucoup vu ces derniers temps. Je lui ai proposé une randonnée, un ciné, un repas chez moi… Pendant nos vacances respectives, on a échangé beaucoup de messages. Si j’initie beaucoup de nos moments, elle remplit la conversation. Elle m’inonde de textos. Elle m’envoie des réels, des extraits de films, des chansons, des photos… Elle parle de sa vie, de ses enfants, de sa maison, de ses livres, de ses draps.

Elle m’écrit que je lui manque à chaque instant, qu’elle ne profite plus des autres quand je ne suis pas là. Puis elle me dit qu’elle m’aime. Une fois, dix fois, vingt fois par jour. Love bombing, me glisse une copine. Elle n’est pas fleur bleue, c’est carrément tout le champ de lavande. Elle me répète qu’elle est entière et vraie. Je lui réponds que je ne suis ni incomplète ni fausse, mais que nos aspirations semblent incompatibles.

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Je lui dis que je ne comblerai jamais toutes ses attentes, qui semblent vraiment énormes. Moi, je ne veux plus tomber amoureuse, je n’entends plus tomber du tout. L’amour romantique est une construction sociale. Je ne veux pas être son tout. Elle a beau être plus âgée que moi, elle m’avoue que c’est la première fois de sa vie que sa partenaire ne se cache pas. Pour moi, ça, c’est déjà une démonstration, mais elle a besoin de mots, de présence continue.

Elle me demande «Et toi, tu m’aimes?» Comment pourrais-je le savoir! Son amour prend toute la place, il est tellement envahissant qu’il m’empêche de ressentir. Même au cours de nos discussions sérieuses, impossible de sortir du lien intime. Il s’immisce partout, tout le temps. 

Quand on couche ensemble pour la première fois, ce jour-là, elle sacralise absolument cette étape. Alors que pour moi, ce n’est pas un drame, le sexe. Avec elle, le cul n’est pas joyeux, mais sérieux. Alors que moi, j’aime rire. Elle me reproche ma légèreté.

Moi, je veux un couple déconstruit. Elle, elle estime qu’une relation lesbienne est déjà déconstruite.

Lorsque je me rends au cinéma avec une copine, en short –il fait chaud–, elle me lance «Tu vas y aller comme ça?». Si c’était un mec cis, je l’aurais largué sur le champ. Moi, je veux un couple déconstruit. Elle, elle estime qu’une relation lesbienne est déjà déconstruite.

Dans ma tête, on est trop loin pour faire demi-tour, mais je sais qu’on va se crasher. Je lui propose un «plan de sauvetage», le milieu queer de notre ville est petit, je veux pouvoir conserver ce qui pourrait l’être, qu’on reste amies, même si l’amour tourne mal. Elle repousse fermement l’idée. «Je m’en fous de ton amitié.»

Jour 5

3 octobre 2025

Le message arrive comme ça, sans raison. Six jours après notre dernier échange. Elle écrit que subitement tout s’est éclairé, qu’elle a tout compris de ma manipulation. Elle me demande de lui rendre le livre qu’elle m’avait prêté. «Pour éviter que tu ne le donnes à ta prochaine victime». 

Victime? J’imagine qu’elle pense que je l’ai utilisée pendant une période déterminée. Alors qu’il me fallait juste du temps, de l’espace. J’avais l’espoir d’une relation lesbienne authentique, durable, adulte. Un lien équilibré et déconstruit. Entre nous, les choses étaient possibles, mais pas comme ça. Depuis notre rupture, je suis dans un processus de diagnostic d’autisme. Je me dis que ça pourrait expliquer ce qu’elle me reprochait, ces réactions qu’elle jugeait inadéquates, trop distantes et froides. J’aurais envie de lui dire, qu’elle puisse avoir cette lecture-là, mais en même temps, à quoi bon?

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Le milieu queer est formidable, il possède ses propres grilles de lecture qui permettent d’éviter les étapes cheloues de la relation classique. Là, tu es ce que tu veux, tu te sens vachement plus à l’aise. Mais dans l’intime, les schémas habituels de fusion, de collage, de recherche de noyau à deux ne sont pas toujours déconstruits.

J’avais été attirée par le fait qu’elle ait adopté tous les codes de la masculinité, qu’elle semble justement déconstruite. Qu’elle soit convaincue de ce qu’elle est, assumant vraiment sa culture homosexuelle, moi qui ne suis qu’un bébé lesbien. La femme que j’ai découverte était finalement très différente. Mais entre ce que l’on renvoie et qui on est vraiment, n’existe-t-il pas toujours un écart?

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