Dès le 1er septembre, l’oxyde de diphényl triméthylbenzoyl phosphine (TPO), utilisé massivement pour accélérer le séchage du vernis semi-permanent, sera interdit en Europe. © Getty Images

«Un impact financier très important»: cette réglementation européenne qui met les esthéticiennes «au pied du mur»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

L’oxyde de diphényl triméthylbenzoyl phosphine (TPO), largement utilisé pour la pose de vernis semi-permanent, sera interdit à partir du 1er septembre. Le secteur de l’esthétique regrette une communication trop tardive, qui impliquera de sérieuses pertes pour les instituts.

Des centaines de bouteilles jetées à la poubelle. L’heure est au grand tri dans les instituts de beauté et les ongleries. D’ici quelques jours, les esthéticiennes devront en effet s’être débarrassées d’un produit pourtant essentiel à leurs activités: l’oxyde de diphényl triméthylbenzoyl phosphine (TPO). Cet agent chimique, notamment utilisé pour accélérer le séchage des vernis semi-permanents sous lampes, sera interdit dans toute l’Union européenne (UE) le 1er septembre.

Concrètement, le TPO réfléchit les rayons UV et la chaleur, permettant ainsi de durcir rapidement le vernis après son application. Mais ce photoinitiateur a récemment été répertorié par l’UE parmi les substances CMR (cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction) de catégorie 1B. S’il n’est pas considéré comme cancérogène (qui peut favoriser le développement d’un cancer), ni mutagène (qui peut provoquer des mutations génétiques), cet agent durcissant est toutefois jugé potentiellement toxique pour la reproduction et susceptible de nuire à la fertilité ou au développement embryonnaire. Il peut également provoquer des irritations cutanées.

Plus que les clientes, son interdiction vise surtout à protéger les professionnelles, souvent exposées longtemps à la substance, parfois sans protection ni aération suffisante des locaux. Une réglementation qui est donc jugée légitime par le secteur, qui regrette toutefois sa communication tardive. «Cela faisait des mois que j’interpellais le SPF Santé publique pour avoir des précisions sur les réglementations TPO, en vain, confie Laurence Wuylens, présidente de l’Union Nationale de l’Esthétique et du Bien-être (Uneb). J’ai finalement reçu les explications concrètes fin juillet, soit à peine six semaines avant l’entrée en vigueur de la mesure.»

Dix euros la bouteille

Avec les vacances et les fermetures annuelles, les instituts n’ont donc eu que très peu de temps pour se retourner. Pourtant, l’interdiction du TPO était pressentie. «Depuis 2008, déjà, des examens sont menés sur cette substance par l’Agence européenne des produits chimiques, retrace Laurence Wuylens. Il y a ensuite eu des consultations publiques en 2021, puis une première sensibilisation à destination des fabricants. Mais depuis lors, aucune information globale n’a été communiquée aux esthéticiennes, qui se retrouvent finalement au pied du mur.»

«Les esthéticiennes vont devoir liquider tout leur stock après l’avoir utilisé à peine quelques semaines.»

Ces dernières années, les services d’onglerie connaissent un vrai boom. «Certains centres d’esthétique y consacrent 50% de leurs activités, voire ne font plus que ça», expose la présidente de l’Uneb. La nouvelle réglementation va donc avoir un impact financier très important, alors que de nombreux instituts avaient justement reconstitué leur stock en prévision des vacances d’été. «En période estivale, la demande pour la pose de vernis semi-permanent, que ce soit les pieds ou les mains, grimpe fortement, confirme Laurence Wuylens. Les esthéticiennes vont devoir liquider tout leur stock après l’avoir utilisé à peine quelques semaines.» Avec une «perte de dix euros par bouteille jetée», la facture s’annonce salée, souffle la présidente de l’Uneb. Alors qu’une communication transparente ou, à tout le moins, une période de transition, aurait «permis de limiter la casse».

Une économie souterraine

L’Uneb craint en outre que la mesure pénalise doublement «celles qui respectent les règles». Si les services de manucure et de pédicure requièrent un accès à la profession, la pose de vernis ainsi que la décoration et le modelage des ongles ne sont pas concernés par cette obligation. Résultat: de nombreuses prothésistes ongulaires exercent sans déclarer leur activité, alimentant une véritable «économie souterraine du nail art» ces dernières années.

Parfois formées grâce à des tutos sur Internet, ces pseudo-spécialistes ne sont pas sensibilisées aux règles d’hygiène et de sécurité. «Le problème, c’est que ces gens qui travaillent au noir ne vont pas être embêtés par les contrôles, alors qu’ils achètent des produits non réglementaires sur Internet, déplore Laurence Wuylens. Et au final, ce sont ceux qui travaillent correctement, qui appliquent des tarifs réglementaires et qui payent leurs contributions qui vont être pénalisés.» La présidente de l’Uneb plaide donc pour réglementer urgemment l’accès à la profession de prothésiste ongulaire, en instaurant une unité de validation de compétences pour garantir un service de qualité à la clientèle et respecter l’équité dans le secteur.

Contacté par Belga, le SPF Santé a de son côté assuré que les instituts de beauté et ongleries ne seraient contrôlés que dans un «second temps». «Les premiers contrôles viseront en priorité les importateurs et producteurs afin de vérifier qu’ils ne mettent plus de tels produits sur le marché». A noter que les contrevenants sont passibles d’une amende allant de 1.000 à 120.000 euros.

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