Peut-on être médecin sans s’engager pour l’environnement? La mise au vert du serment d’Hippocrate. © Getty Images

Peut-on être médecin sans s’engager pour l’environnement? La mise au vert du serment d’Hippocrate

A l’heure où la crise climatique devient aussi une crise sanitaire, Petra De Sutter, future rectrice de l’UGent, suggère d’intégrer explicitement la responsabilité écologique au cœur du serment prêté par les médecins belges. Une proposition qui vise à transformer durablement la vision du rôle social et environnemental du médecin.

«Le monde est malade, à nous de le soigner», clame l’ONG Médecins du Monde. Ces professionnels de la santé posent toujours deux diagnostics. L’un sur l’état du patient, l’autre sur celui du monde. Dans cette logique, guerres, conflits, inégalités et changements climatiques sont reconnus comme des causes à part entière des pathologies médicales. L’ONG a fait de cette relation son leitmotiv. Si chaque pays, et à moindre échelle chaque université, a son propre serment d’Hippocrate, celui de Médecins du Monde inclut aussi bien la nécessité d’offrir des soins universels que celle de «soigner la planète».

Quand un médecin soigne un asthmatique, doit-il aussi s’interroger sur la qualité de l’air qu’il respire? Pour Petra De Sutter, gynécologue de formation et ancienne vice-Première ministre (Groen), la réponse est clairement oui. Lors d’un congrès de spécialistes de la santé, son plaidoyer invite à une révision du serment d’Hippocrate pour la faculté de médecine de Gand: «Il faut que ce serment englobe le soin du patient autant que celui de la planète, de la société et de la vie dans son ensemble. Dans notre époque d’individualisme et de polarisation, nous devons œuvrer au dépassement des égos. La santé est un bien collectif.»

La future rectrice de l’UGent espère bien faire de son université la première en Belgique à inclure les enjeux écologiques dans son serment. Une ambition à la portée symbolique forte, mais qui, dans les faits, n’aura pas d’effet concret sur les médecins sortant de l’université gantoise. Si les jeunes diplômés prêtent serment, leur promesse repose uniquement sur un texte déontologique, sans valeur juridique contraignante. Même si le contenu trouve une traduction directe dans les textes légaux, en Belgique, c’est le Code de déontologie médicale, adopté par le Conseil national de l’Ordre des médecins, qui a une véritable portée juridique. Il intègre des principes semblables à ceux du serment d’Hippocrate. A ce stade, Petra De Sutter ouvre donc un débat symbolique sur le rôle du médecin dans la société, sans exprimer de volonté de réforme juridique. Mais le symbolique, comme elle le rappelle, «est un premier pas vers l’action politique.»

Le médecin, acteur-clé de la transition écologique

Concrètement, ce repositionnement idéologique du serment implique un changement de posture. Dans la vision des ONG et de Petra De Sutter, le médecin est un acteur clé de la santé publique environnementale. Cela pourrait se traduire par une réflexion sur l’impact écologique des traitements (consommation énergétique des hôpitaux, empreinte carbone des dispositifs médicaux, surprescription de médicaments), mais aussi par une implication dans la prévention, la sensibilisation et le plaidoyer.

Lors d’un discours à la 78e Assemblée mondiale de la Santé, fin mai 2025, Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), déclarait: «Une planète et des gens en bonne santé sont les deux faces de la même médaille. Le nombre de décès attribuables à l’environnement s’élevait à treize millions en 2024, soit 24% de l’ensemble des décès toutes causes confondues

Dans certains pays, des initiatives existent déjà. Au Royaume-Uni, le NHS (le système de santé publique) a engagé une transition vers des hôpitaux zéro émission. En Suède, des formations en «médecine durable» sont proposées dès les premières années d’études. La Belgique reste timide en la matière, mais des établissements comme l’UAntwerpen ou l’UGent commencent à intégrer ces notions dans leurs cursus.

L’idée vendue n’est pas de faire de chaque médecin un militant écologiste, mais d’élargir son périmètre d’action en partant du postulat que la santé du patient ne peut être découplée de celle de son environnement.

Une logique que le Dr Lawrence Cuvelier, président du GBO (syndicat des médecins généralistes francophones), juge pertinente, mais à manier avec prudence: «Il est intéressant de se poser la question de savoir s’il faut ou non inscrire les enjeux écologiques dans le texte du serment d’Hippocrate. Mais il ne faut pas se laisser piéger par l’effet de mode d’une telle annonce. Le texte est surtout idéologique. C’est une boussole. Je ne suis pas contre une révision de son contenu, mais alors il faudrait y ajouter tous les enjeux sociétaux qui influencent l’état de santé de la population comme les conditions de travail en entreprise, qui engendrent une épidémie de burn-out… Ou encore se positionner sur la question de la technologie et de l’intelligence artificielle. Je pense que le médecin ne peut pas dévier de son rôle le plus essentiel qui est de soigner. Il peut être un lanceur d’alerte, mais ne doit pas automatiquement endosser les rôles de la lutte écologique. Il est risqué de mélanger les rôles. En surchargeant la profession, on peut craindre une perte de la qualité des soins

Le sens du serment et ses multiples visages en Belgique

En Belgique, le serment d’Hippocrate n’est plus une tradition immuable mais un engagement en constante adaptation. Selon la langue, l’université ou les sensibilités locales et politiques, le texte prêté par les jeunes médecins connaît des variations significatives.

A la Vrije Universiteit Brussel (VUB) et à l’ULB, le texte a été modernisé pour intégrer explicitement l’euthanasie et l’avortement, conformément à la législation belge. Ainsi, les diplômés s’engagent désormais clairement à répondre aux demandes d’interruption volontaire de grossesse. A l’inverse, à la Katholieke Universiteit Leuven (KU Leuven), l’héritage religieux demeure discret mais présent. Même si «Dieu» est évoqué sous une forme plus neutre, la transcendance reste implicitement intégrée. Ce qui n’est plus le cas de l’Uclouvain ou le serment ne contient aucune référence à la religion.

L’UAntwerpen et l’UMons ont fait évoluer leur texte en 2021 pour accentuer l’inclusion sociale et la prise en compte des évolutions technologiques, tandis que l’Université de Gand a opté pour une approche ouverte à la diversité et à l’égalité. Ces adaptations illustrent une volonté de s’aligner sur les évolutions sociétales, légales et politiques spécifiques à la Belgique, notamment sur les thèmes sensibles que sont l’euthanasie, la diversité et l’égalité d’accès aux soins.

Elles reflètent également les particularités des institutions universitaires belges, ainsi que les sensibilités culturelles et politiques propres à chaque communauté linguistique et philosophique du pays.

Le serment d’Hippocrate, bien que symbolique, a une force politique non négligeable. Le débat initié par Petra De Sutter ne porte donc pas uniquement sur la formulation d’un texte et son interprétation, mais sur la manière dont la médecine peut continuer d’évoluer face aux enjeux contemporains. Alors que certains y voient un prolongement naturel du rôle du médecin, d’autres s’interrogent sur les limites à ne pas franchir. Reste que la proposition soulève une question plus large de l’engagement des professionnels de la santé face à des problématiques largement documentées, aux effets directs sur la santé de leurs patients.

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