L’analyse du génome des personnes atteintes de ce handicap ouvre la porte à de nouvelles avancées thérapeutiques et de diagnostic.
«Ça a commencé lorsque j’avais 2 ans et demi environ, se souvient Jean-Loïc, 32 ans, affecté par le bégaiement depuis plusieurs années. Je commençais à buter de plus en plus sur les mots, à répéter plusieurs fois les premières syllabes pour prendre mon élan et dire ma phrase.» Cette altération de la fluidité verbale est considérée comme l’une des plus courantes dans le monde. En 2019, l’Association Parole Bégaiement (APB) comptabilisait plus de 70 millions de personnes atteintes de ce trouble de la parole, soit 1% de la population mondiale, dont 850.000 Belges.
Le bégaiement est une perturbation du neurodéveloppement de la fluence. «Elle se traduit par des difficultés motrices du débit de la parole et se manifeste par des répétitions, des prolongations et des blocages qui donnent une impression d’effort», précise Alyssa Fedrigo, logopède spécialisée dans le bégaiement au Centre Mimosa. Ce trouble survient fréquemment lorsque l’enfant est âgé entre 2 et 3 ans. Il peut être transitoire et disparaître naturellement durant l’enfance ou persistant et rester à vie, comme c’est le cas pour 20% des personnes atteintes de bégaiement.
Au fil des années, les scientifiques ont démontré qu’il s’agissait d’un trouble souvent héréditaire avec une prévalence pour le sexe masculin. Les hommes sont quatre fois plus susceptibles d’en être atteints que les femmes. «Dans ma famille, le frère de ma mère bégayait lorsqu’il était jeune et son cousin germain bégaie encore aujourd’hui», dévoile Jean-Loïc.
Des scientifiques du Centre médical universitaire Vanderbilt, dans le Tennessee, ont cherché à explorer la structure génétique de ce trouble dans différentes populations. Ils se sont alors associés à la société américaine de tests génétiques 23andMe Inc. pour mener des recherches spécifiques au sexe et à l’ascendance, et trouver des variations génétiques communes pouvant contribuer au risque de bégaiement autodéclaré.
Les hommes sont quatre fois plus susceptibles d’être atteints par le bégaiement que les femmes.
Une étude à grande échelle
Afin de mener à bien leurs recherches, les scientifiques ont analysé des données génétiques en lien avec les réponses d’un questionnaire soumis à des participants volontaires. Plus d’un million de personnes y ont participé, ce qui en fait la plus grande étude menée à ce jour sur le bégaiement autodéclaré. A la question «Avez-vous déjà bégayé ou balbutié?», 99.776 participants ont déclaré avoir ou avoir eu des troubles de la parole tandis que 1.023.243 d’entre eux ont répondu «non». Les scientifiques ont ensuite organisé les données par sexe et ascendance génétique. Quatre groupes ont été formés: l’ascendance africaine, est-asiatique, européenne et enfin, l’ascendance latino-américaine/métisse. A la suite de ce répertoriage, les chercheurs ont commencé leurs investigations génétiques par une étude d’association pangénomique (GWAS). «C’est un type d’analyse génétique qui identifie des variants génétiques dont l’apparition est plus fréquente chez les personnes présentant un trait ou une condition particulière», précise Jennifer Below, professeure de médecine au Centre médical universitaire Vanderbilt et coautrice de l’étude.
Ainsi, après avoir pu comparer le génome de milliers de personnes, les scientifiques ont découvert plusieurs signaux de variation d’ADN, autrement dit des zones actives spécifiques dans le génome chez les personnes atteintes de bégaiement. Ces nouvelles données ont été recoupées avec celles recensées dans de précédentes publications. Les scientifiques du centre médical américain ont ainsi pu répertorier au total 57 signaux de variations génétiques uniques, actifs chez les personnes atteintes de bégaiement et majoritairement distincts entre les hommes et les femmes.
Mais à quoi mènent ces signaux? Ces derniers offrent aux scientifiques les premiers indices pour poursuivre leurs recherches quant à l’identification des gènes spécifiques. C’est ainsi qu’ils ont pu découvrir 48 gènes caractéristiques du trouble. «Cette découverte est essentielle à notre compréhension du bégaiement. Ce handicap est génétiquement complexe et influencé par de nombreux gènes», résume Jennifer Below. Selon la scientifique, un gène en particulier, le VRK2, mériterait plus d’attention alors qu’il serait impliqué dans le langage, le sommeil, l’épilepsie et la dépression, autant de traits également associés au bégaiement.
En lien avec des comorbidités
Dans le cadre de cette étude, des analyses sur le lien entre le bégaiement et d’autres comorbidités ont aussi été menées. «Le bégaiement est souvent associé à d’autres troubles tels que le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité ou encore le trouble du développement du langage», évoque Alyssa Fedrigo. Selon une hypothèse, les personnes ayant des difficultés sur la perception du rythme, musical par exemple, peuvent être plus à risque de développer des troubles de la parole et du langage. «Les déficits de traitement du rythme pourraient être liés fonctionnellement au bégaiement», ajoute Jennifer Below. La synchronisation de la parole avec des repères de rythme tels qu’un métronome peut parfois diminuer temporairement les blocages ou les répétitions dus au bégaiement.
Synchroniser la parole avec des repères de rythme tels qu’un métronome peut diminuer le bégaiement.
Les chercheurs espèrent travailler en collaboration avec d’autres disciplines afin de développer de nouvelles approches thérapeutiques pour les soins cliniques. «En comprenant mieux les facteurs génétiques qui contribuent au risque de bégaiement, il pourrait devenir possible d’offrir une intervention précoce aux enfants les plus à risque de bégaiement persistant», s’enthousiasme la scientifique. En attendant, certaines personnes atteintes par le trouble de la fluence travaillent avec des orthophonistes pour mieux vivre avec leur handicap. Différentes méthodes existent telles que «l’iceberg du bégaiement». Cette dernière consiste, dans un premier temps, à essayer de déterminer le type de bégaiement de la personne avec la partie visible, comme les manifestations physiques; le visage crispé, des tensions au niveau des lèvres ou encore des mouvements répétitifs au niveau des mains. Dans un second temps, il y a la partie immergée de l’iceberg avec les émotions du patient, sa peur de s’exprimer oralement, les battements rapides de son cœur. L’importance de ces méthodes est d’installer une relation de confiance entre le thérapeute et le patient pour d’abord lui permettre d’apprivoiser son trouble et l’accepter. En effet, lorsque l’enfant grandit, des pensées négatives peuvent se créer autour de son bégaiement en raison de son manque de confiance ou encore de moqueries. Avec le risque de créer des spirales négatives et d’aggraver le trouble. Certaines personnes atteintes utilisent des stratégies d’évitements se traduisant par un bégaiement masqué. La personne sait sur quels mots elle va bégayer, ce qui la pousse à éviter ces termes et ainsi modifier ses phrases. Certaines associations mettent alors en œuvre des aides pour épauler les personnes qui bégaient et leurs proches.
C’est le cas de l’Association Parole Bégaiement. Dans notre pays, la structure est composée de quelques thérapeutes bénévoles qui travaillent avec des patients parfois envoyés par leur médecin. «Chaque patient vient avec son histoire personnelle, ses émotions, son manque de confiance en soi…», décrit Henny-Annie Bijleveld, neurolinguiste spécialiste de la recherche en bégaiement de développement et lésionnel et bénévole à l’APB de Belgique, ajoutant qu’il est essentiel que les parents comprennent son travail avec les enfants. «Le bégaiement se traduit dans un contexte donné, à un moment donné et avec une personne déterminée», précise-t-elle. Il est important que les proches le perçoivent pour apporter une aide quotidienne.
La structure organise également différentes activités afin de médiatiser son action telles que des formations auprès de professionnels ou du grand public, ou encore des moments d’échanges entre personnes atteintes du trouble et thérapeutes. Par ailleurs, l’APB en France aide les personnes concernées à la recherche d’emploi et, en amont, organise des échanges entre étudiants dans différents pays, tous étant atteints de bégaiement. Enfin, l’association organise également des colloques pour sensibiliser et mettre en lien des professionnels avec des patients et leurs proches. La préoccupation principale de l’APB est la sensibilisation, pour faire accepter le bégaiement et renforcer le lien de confiance entre les thérapeutes et les personnes qui les entourent. «On peut très bien vivre avec, cela ne change rien en tant qu’individu», souligne Lénaïck Gros, chargé des relations presse, bénévole à l’APB de France et atteint du trouble de la fluence.
Lénaïck et Jean-Loïc ont tous deux choisi des métiers dans lesquels ils doivent prendre la parole devant plusieurs personnes. Des emplois qui leur ont permis d’évoluer malgré leur trouble et d’améliorer leur expression orale grâce à leur acceptation. «Le bégaiement est notre superpouvoir, soyons-en fiers», sourit Lénaïck Gros.