Les réseaux sociaux sont devenus en quelques années des leviers incontournables de promotion touristique. En Belgique, les villes et offices du tourisme adaptent désormais leur communication à ces nouvelles habitudes numériques. Cela passe par la mise en place de certains lieux «instagrammables», dont le but est de capter l’attention, séduire l’œil et attirer les visiteurs.
A Jodoigne, Michael Dropsy ne doute plus du rôle des réseaux sociaux dans le succès de son activité. «Environ un quart de nos réservations proviennent de Facebook, un autre quart d’Instagram, et tout autant via Google. Le reste, c’est du bouche-à-oreille. Sans les clients qui se prennent en photo dans notre hébergement, ce serait bien plus difficile», confie le propriétaire des Cabanes du Moulin des Saules.
Un constat partagé par les professionnels du secteur. «Il y a un véritable engouement pour les logements insolites: bulles en pleine nature, cabanes dans les arbres… C’est une tendance forte aujourd’hui, largement amplifiée par les réseaux sociaux. Ce sont des images qui font rêver, presque des cartes postales modernes», souligne Geoffrey Moulart, directeur de la communication de VisitWallonia.
Les réseaux sociaux moteurs du tourisme
Cette mutation du tourisme s’explique par l’emprise croissante des plateformes numériques dans la manière dont les voyageurs s’informent et choisissent leur destination. «Depuis plusieurs années, les réseaux sociaux jouent un rôle de plus en plus central. Ils permettent une relation directe entre les internautes, les influenceurs et les acteurs touristiques. Avant, ce lien n’existait pas. Aujourd’hui, on peut passer de l’inspiration à la réservation en quelques clics», résume Alain Decrop, professeur de marketing à l’Université de Namur.
Le mot d’ordre est de séduire l’œil pour déclencher l’envie de partir. «Le côté “instagrammable” d’un lieu fait désormais partie intégrante d’une stratégie de city marketing. Une décoration urbaine bien pensée peut provoquer une photo, donc une visibilité», affirme Fabian Maingain (anciennement DéFI), échevin des Affaires économiques à la Ville de Bruxelles.
Dans ce contexte, les villes n’ont pas eu d’autre choix que de s’adapter à un nouveau profil de visiteur: plus mobile, plus connecté, et surtout en quête d’expériences à partager. «Le visiteur d’aujourd’hui privilégie les lieux qui racontent une histoire, qui suscitent l’émotion», observe Séverine Cirlande, porte-parole de la ministre du Tourisme wallon, Valérie Lescrenier (Les Engagés).
Ce bouleversement des habitudes pousse les pouvoirs publics à revoir en profondeur leur manière de communiquer. L’approche devient plus fine. «Nous identifions deux groupes cibles: les amoureux, qui choisissent une destination pour plusieurs raisons, et les fanatiques, qui voyagent spécifiquement pour vivre une passion», détaille Pedro Waeghe, coordinateur des relations publiques internationales chez VisitFlanders.
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Quand les influenceurs deviennent les nouveaux ambassadeurs
Les offices du tourisme revoient leur stratégie à l’ère du numérique. «Ils s’adaptent à cette transformation en collaborant de plus en plus avec des agences spécialisées, en achetant des espaces publicitaires en ligne ou en produisant des contenus taillés pour les stories et les réels», observe Alain Decrop. Les influenceurs occupent désormais une place de choix dans leur stratégie. «On a travaillé avec plusieurs profils et obtenu d’excellents retours. Un budget “influenceurs” est même prévu pour chaque campagne», confie Fabian Maingain, échevin bruxellois des Affaires économiques. Une formule jugée plus efficace et surtout plus économique que les méthodes classiques. «Atteindre le même public via une stratégie traditionnelle coûterait bien plus cher.»
En Flandre aussi, la tendance est bien installée. «Nous collaborons de plus en plus avec des microinfluenceurs. Il ne s’agit pas toujours de paiements en espèces: parfois, nous les rémunérons en nature, en leur offrant le voyage et l’accès à des expériences exclusives», explique Pedro Waeghe pour VisitFlanders. Même approche du côté de la capitale. «On sélectionne des influenceurs en fonction des événements. Pour la Pride de Bruxelles, par exemple, nous avons conclu des partenariats ciblés», détaille Jeroen Roppe, porte-parole de VisitBrussels.
L’hébergement touristique n’échappe pas non plus à cette logique. De nombreux établissements misent sur la visibilité offerte par les influenceurs pour attirer de nouveaux clients. «J’ai reçu de grandes figures comme Gaelle Garcia Diaz. Grâce à elles, les réservations ont littéralement explosé», témoigne Michael Dropsy, propriétaire des Cabanes du Moulin des Saules. Une tendance qui se confirme en chiffres, selon une étude de HubSpot réalisée en mai 2023: 71% des consommateurs sont plus susceptibles de réserver dans un hôtel recommandé par un influenceur de confiance.
Quand la viralité devient un défi touristique
A Bruxelles, les campagnes numériques ne restent pas sans effet. Leur impact se fait parfois sentir jusqu’aux vitrines des commerces. «Certains commerçants nous ont rapporté une hausse de fréquentation, y compris dans des rues habituellement peu fréquentées. Mais il faut rester réaliste: ce type de stratégie ne fonctionne pas systématiquement. Ce n’est pas une science exacte», nuance Fabian Maingain.
Pour optimiser les retombées, la Ville de Bruxelles privilégie une approche plus ciblée. «On emmène les influenceurs dans des lieux moins évidents, souvent en dehors du centre-ville. L’objectif est clair: décentraliser l’attractivité touristique», explique Jeroen Roppe.
Même logique en Wallonie, où les offres touristiques sont disséminées sur l’ensemble du territoire. Mais la viralité peut avoir des effets négatifs, notamment dans les zones naturelles sensibles. «Il n’y a pas de problème structurel à ce stade, mais certains sites comme le rocher du Hérou ou les caillebotis des Hautes Fagnes connaissent des pics de fréquentation. Les visiteurs affluent pour reproduire des clichés devenus viraux. Ce mimétisme peut poser problème», avertit Geoffrey Moulart, de VisitWallonia.
Quand Instagram attire trop de monde au même endroit, au même moment, la pression devient difficile à gérer. «Il faut parfois poser des limites, comme le font les Calanques près de Marseille, avec un quota de 2.000 visiteurs par jour sur certains sentiers. C’est une façon de protéger l’environnement, la biodiversité et de limiter la production de déchets», illustre Alain Decrop.
Face à l’afflux de touristes une question se pose: est-ce que la Belgique devra elle aussi envisager des quotas touristiques pour préserver certains lieux devenus trop populaires sur les réseaux sociaux?