Sur LinkedIn, la frontière entre communication professionnelle et mise en scène personnelle devient de plus en plus floue. A coup de storytelling et de drames transformés en leçons de management, certains usagers testent les limites de la crédibilité. Mais la plateforme commence à corriger le tir.
Témoignages larmoyants, leçons de vie tirées de drames personnels, photos de soi triomphant en chemise blanche devant une baie vitrée… Sur LinkedIn, certains récits frôlent l’absurde. «Il y a quelques mois, on a même vu quelqu’un écrire un billet à propos des cinq leçons business qu’il tire de la fausse couche de son épouse», raconte Xavier Degraux, expert en communication digitale et formateur LinkedIn. Une dérive symptomatique de la plateforme professionnelle? Pas si simple.
Avec ses 5,4 millions de membres en Belgique, LinkedIn est devenu le réseau social incontournable pour les professionnels. Pourtant, moins de 3% des utilisateurs y publient régulièrement des contenus. Parmi ceux qui le font, deux tendances se dessinent. «D’une part, une professionnalisation du contenu, portée par des commerciaux, des RH, des créateurs de contenu qui maîtrisent le storytelling. De l’autre, une vague plus spontanée, où les frontières entre vie pro et perso se brouillent», explique Xavier Degraux.
Cette tendance s’est accélérée avec l’arrivée de l’intelligence artificielle. «Elle a amplifié le volume de contenus à faible valeur ajoutée. Des gens qui n’auraient jamais publié se disent: avec l’IA, je n’aurai pas de fautes, ça fera illusion. Mais ce qui en ressort est souvent caricatural et impersonnel», observe l’expert. Ce qui provoque la multiplication des récits de dépassement de soi, peu importe leur véracité ou leur pertinence.
Comment le storytelling façonne les récits sur LinkedIn
Les récits enjolivés trouvent un écho favorable sur LinkedIn. Derrière ces publications se cache souvent une double quête de reconnaissance: personnelle et professionnelle. «Sur LinkedIn, l’image professionnelle est en jeu. On cherche à se vendre, que l’on soit indépendant, salarié ou même bénévole», analyse Xavier Degraux. Cette stratégie est pleinement assumée «il s’agit de séduire des prospects et de raccourcir le chemin vers une opportunité concrète», précise-t-il.
Cette dynamique encourage un ton globalement bienveillant sur la plateforme. «LinkedIn est une plateforme très “bisounours”. C’est l’exact opposé de X (ex-Twitter). Ici, le clash ne paie pas», observe Xavier Degraux. L’algorithme valorise les publications qui retiennent l’attention et génèrent des commentaires riches. Résultat: les utilisateurs évitent les slogans, les polémiques et les critiques frontales, préférant des messages plus lisses et consensuels.
Cependant, face à la lassitude que peuvent générer ces publications, la plateforme commence à réagir aux abus les plus flagrants. «Je remarque une baisse significative du reach (la portée) pour les publications avec selfie, très prisées par les auteurs de contenu “bullshit”», analyse Xavier Degraux. Un indice que LinkedIn tenterait de reprendre le contrôle sur la qualité perçue, sans froisser les créateurs les plus actifs.
Vers une plateforme plus authentique?
L’illusion d’authenticité reste difficile à lever: «Personne ne peut être totalement sincère sur une plateforme où ce sont nos revenus, notre carrière et notre image qui sont en jeu. Encore moins en période de crise économique», constate Xavier Degraux.
Faut-il pour autant enterrer LinkedIn sous une couche de cynisme? Pas forcément. «Je pense que personne n’est dupe. Le contexte “bisounours” crée justement une lecture plus méfiante. Les utilisateurs savent décrypter les codes, les excès, les récits trop parfaits», précise l’expert en communication. Si les contenus creux perdent en visibilité, c’est peut-être que l’ère des récits enjolivés de LinkedIn atteint ses limites. La plateforme elle-même semble miser sur un nouveau modèle basé sur moins de créateurs généralistes, mais plus d’experts de niche à forte valeur ajoutée.
Reste à savoir si les ajustements de l’algorithme et le regard de plus en plus critique des utilisateurs suffiront à ramener un peu d’authenticité sur la plateforme.