A peine 20 ans, déjà des milliers d’abonnés, et une communauté fidèle qui s’informe via leurs comptes Instagram. Jérémie et Noah, alias Yurbise et Asckipe, incarnent une nouvelle génération d’influenceurs: les newsinfluenceurs. Ni journalistes, ni simples créateurs de contenu, ils traitent l’actualité belge en temps réel, avec humour, opinion et proximité. Une tendance émergente en Belgique, qui pourrait bien redessiner le rapport des jeunes à l’information.
Nouvelle forme d’influence sur les réseaux sociaux, les newsinfluenceurs placent l’actualité au cœur de leurs contenus. Avec plus de 35.000 abonnés cumulés, Yurbise et Asckipe incarnent cette génération ultra-connectée, qui traite l’info en temps réel, directement sur Instagram ou TikTok. Chaque jour, ces deux jeunes passionnés scrutent les sites d’actualité, sélectionnent les infos les plus marquantes et les vulgarisent. «Je ne peux pas m’en passer, confie Jérémie. Tous les sites d’infos belges sont dans mes favoris, je les consulte en permanence.» Leur public cible: les 18-34 ans, une tranche souvent jugée distante de l’information et de la politique en Belgique.
Pourtant, pour des milliers de jeunes, Yurbise et Asckipe -respectivement 10.000 et 25.000 abonnés sur Instagram- sont devenus une véritable source quotidienne. Ce phénomène est encore relativement neuf en Belgique francophone, qui accuse un certain retard par rapport à des voisins comme la France, nettement plus avancés en la matière. «Le Belge n’est pas un grand consommateur d’influence, observe Xavier Degraux, expert en réseaux sociaux. Nous faisons partie des pays européens qui visionnent le moins de contenus de ce type. Et parmi ceux que nous consommons, très peu sont liés à l’actualité.» Longtemps associée au simple divertissement, l’influence en Belgique peine à sortir de cette étiquette. Pendant ce temps, en France, des figures comme Hugo Décrypte, véritable star des newsinfluenceurs, rassemble près de cinq millions d’abonnés sur Instagram.
Humour et hyper-réactivité: les codes d’un nouveau format
Mais qu’est-ce qui distingue vraiment le contenu de ces newsinfluenceurs de ceux des médias classiques? «D’abord, le fait qu’ils incarnent eux-mêmes leur média, explique Xavier Degraux. Ils sont à l’image de leur contenu: ils se filment en train d’analyser l’actualité, ils réagissent, ils interpellent. Ce sont des figures à part entière.» Autre différence notable: la question de la neutralité. Jérémie et Noah l’admettent sans détour: ils ne sont pas parfaitement neutres. «J’ai mes opinions, certaines choses me révoltent. Mais ceux qui me suivent le savent: il n’y a rien de caché», précise Noah. Un positionnement assumé qui, pour Audrey Vandeleene, politologue à l’ULB, ne pose aucun problème tant qu’il est clair: « A partir du moment où c’est affiché, c’est logique que des influenceurs aient des opinions. L’important, c’est d’être transparent. Les médias ont aussi leurs propres lignes éditoriales». Dernier ingrédient qui forge leur style: l’humour. Jérémie et Noah n’hésitent pas à s’éloigner ponctuellement de l’information pure pour glisser quelques touches légères, bien à eux. Certaines publications flirtent ouvertement avec le second degré, incarnant leur ton décalé. «Lors d’une longue nuit de négociations à la Chambre, je me suis amusé à poster les têtes des hommes et des femmes politiques qui n’en pouvaient plus, complètement épuisés. C’était drôle, bon enfant, et ça a beaucoup fait réagir», raconte Jérémie.
Les newsinfluenceurs, leviers pour raviver le débat politique chez les jeunes
Ce style hybride, à mi-chemin entre journalisme et codes de l’influence, peut parfois soulever des questions. L’hyper-réactivité de ces comptes, leur ton spontané, voire leur ligne éditoriale parfois floue, peuvent soulever des doutes quant à la rigueur de l’information transmise. Mais pour les experts, il serait réducteur de juger ce phénomène à l’aune de ces seules craintes.«Toutes les études montrent que les jeunes restent méfiants vis-à-vis des contenus qu’ils consomment sur les réseaux sociaux», rappelle Xavier Degraux. «Le problème, ce n’est pas que des newsinfluenceurs parlent d’actualité. Au contraire, c’est une excellente nouvelle pour la démocratie. Ce qui importe, c’est de continuer à éduquer les jeunes à exercer un esprit critique face à ces contenus. Tout comme lorsqu’ils ouvrent un journal orienté plus à gauche ou plus à droite», prolonge Audrey Vandeleene.
Pour Noah et Jérémie, leurs contenus ne se limitent pas à informer: ils créent aussi une véritable communauté. Sur son compte Yurbise, Jérémie a mis en place un canal de discussion qui rassemble plusieurs milliers d’abonnés, avec pour objectif d’offrir un espace d’échange d’idées, ouvert à tous. «Des gens issus de sensibilités politiques très différentes discutent en permanence, toujours avec respect et bienveillance», se réjouit-il. Noah partage le même sentiment avec son compte Asckipe. «Quand des gens me croisent dans la rue, pas mal me reconnaissent et me lancent: “C’est toi le mec qui fait des vidéos sur l’actu?” Souvent, ils me remercient.» Pour Audrey Vandeleene, la portée de ce phénomène va même au-delà de la simple diffusion d’information. Selon elle, la montée en puissance des contenus politiques sur les réseaux sociaux peut renforcer le débat et encourager les échanges entre jeunes. «Si ces newsinfluenceurs parviennent à orienter les sujets de discussion et à susciter des débats de société chez les jeunes, alors c’est bénéfique pour tout le monde», estime-t-elle.
Yurbise et Asckipe ont respectivement 10.000 et 25.000 abonnés sur Instagram. Qui a dit que les jeunes ne s’intéressaient plus à l’actu?