On entend souvent dire que les syndicats sont inefficaces. Pourtant l’histoire, la géographie, l’économie et de simples notions de logique formelle démontrent leur efficacité.
Le lecteur aura très souvent entendu cette phrase: «Les syndicats ne servent à rien.» Peut-être même la prononce-t-il lui-même, quand l’école de ses enfants présente une grille fermée ou lorsque son train P est annulé. Alors que leurs affiliés sont lancés dans des protestations multiples, plus que jamais on l’entend dire, «les syndicats ne servent à rien», ou, en version érudite, variante médiatico-friedmanienne, «les syndicats sont inefficaces».
Alors que le lecteur énervé autorise ici, dans une rubrique normalement dévolue à l’expression d’opinions, de présenter des faits qui, regroupés, produisent une espèce de loi si reproductible que sur tout autre sujet nous devrions en qualifier l’énoncé de pragmatique.
Ces faits peuvent choquer. Ils exposent une corrélation à la régularité entêtante, on n’a pas dit causalité mais quand même, qui exonère des leçons de morale de la droite, vous savez, «ils n’ont jamais créé aucun emploi», comme de celles de la gauche, genre «il faut comprendre leur émotion».
Si les syndicats se battent pour défendre ce que l’esprit du temps nomme très improprement des privilèges, ce n’est pas parce qu’ils sont inefficaces. C’est justement parce qu’ils ont été efficaces. Ces combats défensifs sont un effet de leur efficacité passée autant que l’impopularité qu’ils suscitent sont un signe de leur déclin présent.
Parce qu’on ne peut pas ignorer le fait que les salaires sont systématiquement plus élevés, les pensions unanimement plus accessibles, les inégalités de patrimoine et de revenus incontestablement moins fortes, et même, oui, l’économie généralement plus prospère, quand les organisations représentatives des travailleurs sont puissantes que quand elles le sont moins.
La corrélation, on n’a pas dit causalité mais quand même, se vérifie avec la plus convaincante transdisciplinarité.
1. Les historiens le remarquent, c’est lorsque les syndicats ont eu le plus de pouvoir et de liberté que les populations concernées étaient les plus heureuses, à tel point que l’on a appelé cette époque les «Trente Glorieuses», et que c’était mieux avant. Même le n+3 le plus challenging ne pourra pas contester ce constat.
2. Les géographes l’observent, c’est dans les pays où les syndicats sont encore aujourd’hui les plus influents, en Scandinavie, que l’économie est la plus robuste. Même le startupeur le plus inspirant ne pourra nier cette évidence.
3. Les économistes le regrettent souvent, c’est pour les travailleurs des secteurs les plus syndiqués (journalistes inclus) que les salaires sont les plus généreux, que les vacances sont les plus régénérantes, que les horaires sont les plus tenables, que la retraite est la plus douce et que la cantine est la plus fournie. Même le libertarien le plus disruptif (éditorialistes inclus) ne pourra contredire cet état de fait.
Et tous doivent admettre que la Flandre va mieux que la Wallonie, alors que le taux de syndicalisation y est plus élevé, corrélation n’est pas causalité, mais quand même, il n’y a donc vraiment qu’en politique, et un peu en journalisme, qu’on peut affirmer sans avoir l’air de gravement se tromper que les syndicats ne servent à rien.