Franklin Dehousse

Les procès Sarkozy, aussi une affaire européenne (chronique)

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

L’Etat de droit est contesté partout. Dans beaucoup de démocraties, les juges résistent. Le dernier jugement concernant Nicolas Sarkozy est un pas important.

Peut-on tolérer que nos plus hauts dirigeants s’associent à un Etat terroriste faisant exploser des avions, en vue d’obtenir des sommes élevées qui détruisent les réglementations sur le financement des élections? Telle est, vue par la plupart des Européens, la question essentielle posée par le nouveau procès Sarkozy.

On peut s’interroger sur un aspect du jugement. Pourquoi la présidente du tribunal ne s’est-elle pas récusée (alors qu’elle avait participé voici quatorze ans à une manifestation contre Sarkozy)? Cela fragilise l’image de la justice dans un dossier hypersensible, où la moindre apparence compte (quelle que soit la réalité). Cela n’empêche pas le jugement de 400 pages d’apparaître fort solide. L’essentiel demeure. Plusieurs collaborateurs très proches de Sarkozy ont eu des rendez-vous en Libye avec un terroriste notoire, pour négocier un deal. Des montants importants ont été versés par la Libye. Et des traitements de faveur ont été réservés à Kadhafi par le nouveau président français après son élection.

Certains objectent qu’on n’a pas trouvé un flux direct de billets identifiés entre la Libye et la campagne. Mais Nicolas Sarkozy est un avocat trop malin pour laisser une piste de ce genre. C’est pour cela qu’il se retrouve parfois avec beaucoup de cash de provenance non identifiée (on notera le parallèle évident avec Didier Reynders qui a toujours présenté Sarkozy comme son idole). C’est pour cela aussi que la prévention de financement illicite a été rejetée. De plus, qui peut sérieusement croire que Sarkozy, maniaque du contrôle (et ministre de l’Intérieur très informé sur le terrorisme) n’a en rien connu les visites de ses plus proches collaborateurs en Libye? Et que, obsédé par l’argent comme par son élection, il ne s’en souciait en rien ici?

D’autres arguent qu’il n’y a pas d’enrichissement personnel. Cependant, être élu président de la République constitue déjà en soi une source d’enrichissement, au moins indirect. En tout état de cause, le non-enrichissement ne dispense nullement de respecter les lois, spécialement celles essentielles pour la démocratie, sur le financement électoral ou la sécurité de l’Etat.

De tels faits, véritable incitation au terrorisme, menacent tous les pays membres de l’Union. Chaque Etat inepte et/ou mafieux déroule ses tentacules chez ses voisins. Souvenons-nous du Kazakhgate, où la Belgique était en 2011 devenue le valet judiciaire servile de la France en inventant des transactions pénales. Nicolas Sarkozy l’avait demandé, et un amendement bizarre avait subitement été présenté par le cabinet Reynders, dans un projet de loi hors de sa compétence.

L’Etat de droit est contesté partout. Dans beaucoup de démocraties, les juges résistent (Pologne, Espagne, Italie mais aussi Etats-Unis, Brésil, Corée). De leur résistance dépend pour une large part la survie de nos démocraties et de nos économies. Le dernier jugement français constitue un pas important. Les juges ont fait leur devoir. Ils doivent être soutenus si nous voulons continuer à contrôler nos gouvernements.

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