En Belgique, les éditorialistes étaient tous favorables au droit au blasphème et à la liberté d’expression. Mais la crèche de la Grand-Place à tout changé: ils sont devenus plus catholiques que le pape.
Il n’a fallu qu’un petit tas de chiffons pour que la catégorie sociale la plus Charlie du monde se révèle, par une subite épiphanie, favorable à la réintroduction du délit de blasphème. Au sujet de la laide crèche du marché de Noël de Bruxelles, les éditorialistes francophones n’ont pas seulement dit à leurs lecteurs ce qu’ils devaient trouver beau ou moche, ils n’ont pas fait qu’imposer leurs préceptes esthétiques à leurs ouailles: ils ont professé une théologie tout à fait dogmatique, et procédé à d’impitoyables excommunications.
Presque unanimes, ils ont en effet doublé cette semaine l’Eglise catholique sur sa droite, sans doute pour contredire cette superstition qui les fait appartenir à une espèce calcifiée de cléricature gauchiste.
Quand il s’agit d’une autre religion que la leur ou que celle de leurs ancêtres, ils se posent en intraitables apôtres de la séparation de la religion d’avec la politique. Mais puisqu’il est ici question d’une crèche chrétienne choisie par l’évêché, plusieurs éditorialistes de la presse francophone ont donné aux politiques et aux religieux une leçon de foi. Pas parce que les politiques se soumettaient aux principes d’une religion, mais parce qu’ils ne s’y soumettaient pas assez, donc.
Dans le quotidien populaire le plus lu de Belgique francophone, l’un d’eux a même revu toute l’histoire des religions du Livre à l’adresse de ses catéchumènes. «Par définition, une crèche renvoie à la culture judéo-chrétienne à la base de notre société», a-t-il doctement expliqué à ses nombreux lecteurs. Ce nouveau docteur de la foi ne leur a pas pour autant signalé dans quel verset de la Torah ou dans quel paragraphe du Talmud était évoquée la scène de la naissance du messie des chrétiens, avec sa sainte mère l’immaculée, son charpentier de papa pour l’état civil, son bœuf théologique et son âne licite. Parce que par définition, une crèche n’a rien de judéo et tout de chrétien. Mais il est parfois utile de conjuguer une autre religion à la sienne lorsqu’il s’agit de lutter contre l’influence alléguée d’une troisième.
Le même jour, dans un autre quotidien, moins populaire et moins lu, un ouléma un peu mieux équipé culturellement alimentait sa fatwa d’une théologie un peu plus pointue. «A force de vouloir neutraliser chaque élément susceptible de heurter, de différencier ou de rappeler une appartenance particulière, on finit par fabriquer des objets qui ne parlent plus à personne», écrivait l’éditorialiste d’un journal qui s’offusque en permanence que d’autres appartenances particulières que la sienne ne soient pas suffisamment neutralisées. Il trouvait donc là qu’un symbole ostentatoire d’appartenance communautaire, placé à l’endroit le plus visité du pays, n’était pas assez vindicatif à son goût. Parce que le communautarisme des autres est un poison, mais que la communauté des nôtres, elle, devrait être plus offensive, et s’imposer à tout le monde.
Ainsi la laïcité de ces nouveaux cléricaux ne s’active-t-elle que le vendredi et en période de ramadan, parce qu’ils ne veulent pas mélanger politique et religion, mais lancent une croisade éditoriale si une crèche n’est pas assez catholique à leurs yeux.