Anne-Sophie Bailly

Interdire TikTok à 14 ans, et après?

Anne-Sophie Bailly Rédactrice en chef

Empêcher l’usage des réseaux sociaux comme TikTok ou Instagram avant 15 ans, c’est privilégier l’interdiction à l’éducation et au dialogue.

Qui dirait le contraire? Qu’il faut offrir aux enfants un espace numérique sécurisé et sécurisant. Que le risque que l’algorithme des réseaux sociaux les enferme dans une bulle cognitive est réel. Que le scroll infini empiète sur leur temps de sommeil, tout comme celui passé au contact des autres. La liste des dangers auxquels les plus jeunes s’exposent au travers de l’usage des réseaux sociaux ne cesse de s’allonger. Et c’est pour répondre à ces inquiétudes que la Commission européenne a récemment émis ses lignes directrices sur la protection en ligne des mineurs et proposé un prototype d’application de vérification de l’âge requis. L’objectif: instaurer un cadre pour interdire l’accès aux réseaux sociaux aux moins de 15 ans. Et répondre ainsi aux préoccupations des dirigeants de certains Etats membres, comme d’une partie toujours plus importante de la population.

Pourtant sur l’opportunité même d’interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans, aucun consensus ne se dégage de la communauté scientifique. Au contraire, elle pointe que ces plateformes ont tout à la fois le potentiel de bénéficier aux adolescents que de nuire à leur santé mentale, en ce sens qu’elles leur offrent un moyen de communication supplémentaire et un canal d’accès à la connaissance aisé, tout en accentuant les risques de dépression ou d’anxiété pour les usagers où une vulnérabilité préexisterait.

Empêcher l’usage des réseaux sociaux avant 15 ans, c’est privilégier l’interdiction à l’éducation et au dialogue.

Techniquement, la faisabilité de la mesure suscite également le scepticisme des professionnels du secteur. A charge de qui cette vérification de l’âge minimal requis incombera-t-elle? A la plateforme ou au fournisseur d’application? Quel outil empêcherait un ado de tricher sur son âge, tout en respectant sa vie privée et en évitant le risque de fuite des données? Quelle barrière à l’entrée digitale serait suffisamment solide pour résister à l’envie de braver l’interdit? L’envol des ventes de VPN concomitant au récent blocage de l’accès aux sites pornographiques Pornhub, YouPorn et RedTube en France parle de lui-même.

Les professionnels de l’enfance pointent un autre risque, celui d’introduire une barrière supplémentaire au dialogue, car en plus de parvenir à verbaliser un problème rencontré en ligne, il faudra concéder avoir fraudé.

Empêcher l’usage des réseaux sociaux avant 15 ans, c’est donc privilégier l’interdiction à l’éducation et au dialogue. Et si l’objectif est de salutairement limiter l’hyperconnectivité des plus jeunes et le temps passé devant les écrans, d’autres pistes sont également envisageables. Comme interdire l’usage récréatif des smartphones à l’école ou interroger ses habitudes numériques en tant qu’adulte. Car qui passe trois heures par jour sur son smartphone et cinq à regarder du contenu vidéo?

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