Anne-Sophie Bailly

Didier Reynders inculpé pour blanchiment, il est temps de rompre le silence

Anne-Sophie Bailly Rédactrice en chef

Didier Reynders a donc officiellement été inculpé pour blanchiment d’argent. Mais il continue à se murer dans le silence sur l’origine mystérieuse du cash. Ce silence devient chaque jour plus intenable.

Didier Reynders a donc officiellement été inculpé pour blanchiment d’argent. Aiguillonnée par la presse qui a révélé l’affaire, la justice poursuit donc pas à pas son travail d’enquête. Mais sa mission sera encore longue. Car en établissant la qualification de blanchiment, le ministère public affirme essentiellement une chose: l’ancien ministre libéral n’a pas été en mesure de justifier l’origine ni de l’argent en cash déposé sur un compte auprès de la banque ING ni de celui qui a servi à acheter massivement des jeux de la Loterie nationale dans une station-service uccloise. Cette inculpation dit tout autant que les explications un temps avancées d’une soudaine addiction au jeu –considérée comme peu plausible par la Loterie elle-même–, comme celle de bénéfices liés à l’achat et à la vente d’œuvres d’art n’ont pas suffi à convaincre les enquêteurs de la légalité de l’origine des fonds.

Ce sera donc une autre justification que devra fournir l’ancien commissaire européen, toujours présumé innocent mais auquel incombe le fardeau de la preuve et dont le nom reste étroitement lié à certaines affaires politico-financières, en particulier à celle du Kazakhgate. Mais également aux dossiers des milliards de fonds publics libyens gelés en Belgique, de la construction de l’ambassade belge au Congo ou du transfert controversé de la police fédérale à la Tour des finances.

Les explications de Didier Reynders n’ont pas suffi à convaincre les enquêteurs de la légalité de l’origine des fonds.

En parallèle, le travail de la justice sera long également pour tenter de comprendre pourquoi il aura fallu tant de temps pour que les clignotants s’allument autour de ces transactions suspectes. Le parquet de Bruxelles a d’ailleurs ouvert un dossier pour trafic d’influence à l’encontre d’ING Belgique. Car pour rappel, si les premiers dépôts d’argent auprès de la banque au lion datent de 2008, ING ne questionnera l’origine de ces fonds que dix ans plus tard. Et il faudra cinq années supplémentaires avant qu’une première notification soit faite auprès de la Ctif, la Cellule de traitement des informations financières. Pourquoi aussi rien n’a-t-il été détecté avant qu’une enquête de routine initiée par la Loterie nationale en 2021 ne relève des ventes anormalement élevées d’e-tickets dans un point de vente et n’attire l’attention sur les comptes de deux joueurs?

Le travail de la justice avance, donc. Mais les questions essentielles demeurent. Pourquoi et comment pendant une dizaine d’années, l’ancien commissaire européen a-t-il pu passer entre les mailles du filet de la lutte contre le blanchiment? Y a-t-il eu des complaisances au sein de la banque à l’égard d’une personnalité politique de premier plan? Surtout, quelle est l’origine de ce cash, estimé aujourd’hui à près d’un million d’euros? L’ancien ministre dit toujours réserver ses réponses à la justice. Quant à ING, elle attribue sa trop grande discrétion au fait que «la lutte contre le blanchiment d’argent n’est pas une science exacte» qui reste fonction de «décisions personnelles».

Cette obstination du silence devant l’énormité des faits et l’absurdité des procédés devient chaque jour moins tenable.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire