Laurent Raphaël

Affaire Kid Noize: voilà ce qui arrive quand le faux devient banal

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Accusé de tromperie pour avoir fait jouer à sa place des sosies, le DJ Kid Noize est dans la tourmente. Mais cette pratique est-elle si étonnante à une époque qui fait la promotion du faux? 

 Bien sûr, c’est mal. Envoyer sans prévenir un sosie à sa place pour un DJ set -et empocher le cachet prévu pour «l’original»-, ça s’appelle de l’escroquerie. Kid Noize pensait que sa petite entourloupe -trois concerts le même soir à trois endroits différents- passerait crème. Mais c’était sans compter sur les réseaux sociaux et sur la prestation calamiteuse d’une des doublures.

Le DJ a eu beau tenter de rattraper le coup en affirmant qu’il travaillait désormais en équipe, le mal était fait. Il devra s’expliquer devant un juge -avec ou sans son masque de singe?- et aura tout le temps de méditer sa filouterie pendant l’été vu qu’il a déjà été déprogrammé de plusieurs festivals

Si on peut évidemment s’offusquer de la tromperie, faut-il s’en étonner? Kid Noize n’est-il pas le symptôme de son époque? Celle du faux, de la contrefaçon à grande échelle, dont on s’accommode finalement quand ça nous arrange. Par exemple quand on appelle à la rescousse ChatGPT, qui n’invente rien mais se contente de piller et de reconditionner les contenus appartenant à d’autres. Sa seule prouesse: créer l’illusion du vrai, du singulier, et faire disparaître les sources comme un trafiquant maquille le numéro de châssis d’une voiture volée.   

L’industrie musicale n’échappe pas à cette tendance, floutant régulièrement la frontière entre authenticité et foutage de gueule. Hologrammes, playbacks, tribute bands qui éclipsent presque leurs modèles, orchestres remplacés par des bandes sonores… Ces dernières années, elle s’est engouffrée dans la brèche ouverte par la technologie pour tenter ici de réduire les coûts, là de maintenir artificiellement en vie, voire de ressusciter, ses meilleures vaches à lait. 

Sans surprise, c’est la frange la plus commerciale qui est la plus exposée à cette dérive. Celle qui fabrique des morceaux formatés, qui vend un concept plus qu’une expérience viscérale. Kid Noize, dont la musique n’a aucun intérêt, a sans doute cru que les gens n’y verraient que du feu -ce qui en dit long sur l’estime qu’il porte à ses propres productions-, ou même applaudiraient son tour de passe-passe, salueraient l’audace du coup marketing, étant entendu pour lui qu’il n’est pas autre chose qu’un produit reproductible. Mais n’est pas Andy Warhol -qui a dénoncé la société de consommation en s’en réappropriant ses codes- qui veut. Et l’homme à la tête de singe a sans doute oublié que certains dans la foule n’étaient pas complètement sourds et venaient chercher un frisson, une ivresse des sens plutôt qu’un set réchauffé au micro-ondes. 

«Kid Noize, dont la musique n’a aucun intérêt, a sans doute cru que les gens n’y verraient que du feu.»

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