Joseph Ndwaniye

Un amour de chien

Joseph Ndwaniye Infirmier et écrivain.

Derrière cette tendresse d’une femme pour son chien, j’ai lu le reflet d’une société en quête d’attaches simples et immédiates. Mais peut-on substituer cet élan inconditionnel à l’amour humain?

Zaventem, hall des arrivées. Une foule impatiente attend les derniers débarqués. J’attends moi aussi quelqu’un, les yeux rivés à la grande porte coulissante, quand une scène anodine en apparence retient mon attention. Au moment où un couple franchit la frontière des voyageurs, lui tirant une valise à roulettes, elle portant un petit animal au museau vif, queue battante, corps frémissant de vie, une femme pousse un cri et se précipite vers eux, bras tendus. Mais ce n’est pas exactement vers eux qu’elle se précipite. Son élan, son cœur, ses bras sont pour l’animal. Elle l’arrache presque des mains de la femme. Elle l’étreint, le couvre de baisers, de mots doux: «Mon bébé, ma merveille.»

Le chien, lui, répond de tout son corps. Coups de langues effrénés, coups de pattes et de griffes: son corps se tortille au point qu’il a failli échapper des mains de la dame et tomber. Ce débordement d’excitation suscite éclats de rire et photos en rafales. Cette petite boule de poils est la vedette du moment. A contrario, aucune attention pour le couple, qui reste là, les bras ballants. Pas un mot de bienvenue pour eux. Comme si leur présence n’était qu’un décor nécessaire à la réapparition de l’animal adoré.

Son élan, son cœur, ses bras sont pour l’animal.

Originaire d’ailleurs, j’ai connu le chien en tant que compagnon du quotidien mais sans charge sentimentale excessive. Plus qu’une anecdote, j’ai vu dans cette scène de Zaventem une inversion des hiérarchies affectives. Là où jadis l’humain occupait le premier plan, c’est désormais le chien qui attire toute la lumière. Aujourd’hui, dans nos sociétés occidentales, il est devenu un membre de la famille, parfois même l’enfant ou le partenaire symbolique de ceux qui n’en ont pas. Cette mutation ne dit pas seulement l’amour des animaux, elle révèle aussi nos solitudes modernes. Familles réduites, urbanisation, isolement croissant… L’animal n’est plus simple familier, il devient substitut affectif, objet d’un investissement émotionnel important. Il ne demande ni négociation, ni compromis, ni confrontation d’ego. Il ne trahit pas, ne juge pas, n’abandonne pas. Il est présence pure, loyauté sans faille.

Une forme d’amour exempt de la complexité parfois douloureuse de nos relations humaines. Cette scène en est l’illustration frappante. La femme n’a pas salué le couple, ne l’a pas plus remercié d’avoir pris soin de son chien. Ce détail pourrait sembler banal, il est pourtant révélateur. L’humain devient parfois simple support logistique, effacé derrière la projection affective concentrée sur l’animal. Sommes-nous en train de chercher, dans l’animal, le refuge que nous ne trouvons plus chez nos semblables? L’amour que nous portons aux chiens est réel, sincère, mais il peut aussi témoigner d’un désenchantement à l’égard des relations humaines. L’attachement aux animaux dit aussi notre besoin d’aimer et d’être aimés que nos sociétés modernes, malgré la profusion de moyens de communication, peinent parfois à combler. Mais pouvons-nous substituer entièrement à l’amour humain cet amour inconditionnel, aussi réconfortant soit-il? Derrière cette tendresse d’une femme pour son chien, j’ai lu le reflet d’une société en quête d’attaches simples, directes, immédiates. Une société qui, face à la fragilité des relations humaines, choisit parfois l’animal comme port d’ancrage. Et je me suis demandé: pourrons-nous continuer à nous aimer avec la même intensité, la même fidélité, la même joie sans condition?

 

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