Volodymyr Zelensky et les dirigeants européens doivent composer avec la versatilité du président américain. Difficile dans ces conditions de construire une stratégie.
«J’attends des actions concrètes.» Telle est la réponse formulée par Anastasia Fomitchova, docteure en science politique engagée dans l’armée ukrainienne en 2022 et 2023, parcours conté dans le livre Volia (Grasset, 2025), quand nous lui demandions, le 15 octobre, si elle était rassurée par le rapprochement entre les dirigeants ukrainiens et Donald Trump comparativement à la disposition, affichée par celui-ci au début de son second mandat, à céder à toutes les revendications de son homologue russe, et agresseur de l’Ukraine, Vladimir Poutine. La prudence exprimée par l’Ukrainienne était on ne peut plus opportune.
Depuis cette interview, le président Volodymyr Zelensky a repris le chemin de la Maison-Blanche le 17 octobre. S’il n’a pas subi la même humiliation publique que celle que le président et le vice-président américains lui avaient infligée le 28 février 2025, l’ambiance de la rencontre aurait été presque aussi mauvaise. «Acceptez le deal de Poutine ou l’Ukraine sera détruite», aurait à nouveau menacé Donald Trump. Ainsi faut-il endurer la versatilité du président des Etats-Unis, capable de suggérer l’envoi de missiles Tomahawk à Kiev, pour permettre à l’armée ukrainienne de frapper plus aisément les infrastructures de la Russie, et de l’exclure quelques jours plus tard. Entre les deux prises de position, le président américain, qui ne cache pas son admiration pour les hommes forts, avait eu un entretien téléphonique avec son homologue de Moscou.
Dans un monde rêvé, on aimerait que cette gesticulation rhétorique soit un instrument diplomatique, du bâton à la carotte, pour forcer Vladimir Poutine à faire des concessions dans la négociation annoncée, surtout par Washington moins par Moscou, lors d’un nouveau sommet entre les deux chefs d’Etat à Budapest. Mais il y a lieu d’en douter. Obnubilé par la perspective de régler soi-disant un neuvième conflit international depuis le début de son nouveau mandat, Donald Trump semble prêt à négliger les revendications des Ukrainiens pour obtenir un cessez-le-feu qu’il vendra comme un accord de paix.
Soucieux de marquer leur différence mais aussi de ménager la susceptibilité de leur incontournable allié, Volodymyr Zelensky et des dirigeants européens, notamment ceux de la triade Allemagne, France, Royaume-Uni, ont rappelé, le 21 octobre, que «la ligne de contact actuelle doit servir de base pour les négociations» comme s’ils redoutaient que Trump la considère comme la finalité de ces pourparlers. La rencontre de Budapest, si elle a un jour lieu, pourrait donc être celle de tous les dangers pour l’Ukraine. Une «négociation» où Donald Trump céderait beaucoup à la Russie pour obtenir un cessez-le-feu, dont il présenterait le résultat comme un énième succès alors que rien ne serait réglé, et qui consacrerait un nouveau camouflet pour les Européens, forcés de constater leur désunion puisqu’elle aurait été menée dans l’Union européenne sur le territoire de son membre le plus prorusse et le plus eurosceptique, la Hongrie. La vie de millions d’Ukrainiens doit-elle être sacrifiée à l’ambition du président américain et au deal funeste qu’il concocte avec le potentat de Moscou?