Pourquoi les gens agissent comme ceci ou cela? Derrière des comportements a priori anodins se cachent des explications sociologiques. Cette nouvelle chronique les explore. En forçant volontairement le trait, pour mieux faire réfléchir. Notamment, ce mois-ci, celles et ceux qui apprécient les voyages en van. Et si la soif de liberté n’était pas la seule explication?
«Alors, qui a dû vider les chiottes?» Même sans jamais avoir posé son séant dans ce type de véhicule, voici la question qui fera toujours mouche (anecdotes garanties), au retour de vacances d’amis ayant opté pour un périple en van. C’est qu’ils deviennent de plus en plus répandus, ces spécimens amicaux. Mais si, mais si: ces potes qui ne se revendiquent plus touristes, mais voyageurs. «T’es tellement libre, tu comprends? Tellement hors des sentiers battus.» Et il est vrai que jusqu’à un passé récent, les charmes du lac de Christus, à Saint-Paul-lès-Dax, avaient réussi à rester très discrets.
Difficile d’évaluer leur nombre: les statistiques en matière de nouvelles immatriculations de l’European caravan federation (ECF) englobent tous les véhicules de loisirs, indistinctement. En 2024, en Europe, leur nombre a progressé de 5,2% par rapport à l’année précédente. «Nous avons connu un engouement pour les locations, ainsi que la vente –pour les biens neufs ou d’occasion aménagés– plus important cette année», témoigne Marjorie Havart, de la firme JCR Motorhome.
Voyager en van pour «s’offrir un peu de sensations»
Encore plus difficile: repérer parmi ces aficionados les durs, les purs. Ceux qui répondront, à la question susmentionnée, un mi-fier mi-dédaigneux: «Ah mais on n’avait pas de toilettes dans le van, ni de douche, non, on voulait vraiment de l’authentique, tu vois?» Ceux qui imitent les new travellers, cette minorité ayant décidé d’aménager une camionnette «pour y vivre à l’année, se déplaçant au gré des emplois, des événements, des rencontres et poursuivant un geste politique: la rupture avec le capitalisme et le métro-boulot-dodo, détaille Jean-Michel Decroly, professeur de géographie et de tourisme à l’ULB. Une sous-culture qui existait déjà en Grande-Bretagne dans les années 1990.»
La promiscuité, la saleté, l’inconfort, la frugalité ne sont «authentiques» que lorsqu’ils sont choisis.
La sous-culture des «vanlifeurs» date plutôt du Covid et rime souvent avec «instagrammeurs». Heureusement que le capitalisme fut là pour financer leur expédition, parce qu’avec ou sans latrines, cette authenticité coûte un bras. «Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce ne sont pas des vacances bon marché, indique Marjorie Havart. Au-delà de l’achat ou de la location, il y a les pleins de carburant ou d’eau, les arrêts dans d’éventuels campings pour accéder à l’électricité, et le budget peut vite s’enflammer.»
Mais ils sont comme ça, les aisés: de temps en temps, entre une escapade au ski et un city-trip à Dubaï, ils aiment bien jouer aux précaires. La promiscuité, la saleté, l’inconfort, la frugalité ne sont «authentiques» que lorsqu’ils sont choisis. Dormir dans cinq mètres carrés n’est marrant qu’en retrouvant le confort de son Auping une quinzaine de jours plus tard. Les riches possèdent cette incroyable capacité à chiper des attributs propres aux classes populaires (une chanson, un sport, un café, une profession…) pour en faire un truc cool, hype, in. L’inverse n’est jamais vrai.
Voyager en van, c’est finalement «s’offrir un peu de sensations, décrypte Jean-Michel Decroly. Le tourisme est traversé par la recherche de l’insolite, qui résulte généralement de l’inattendu. L’aventure incroyable va plutôt naître dans la précarité de l’expérience.» Histoire de se créer une épatante réponse à l’immanquable question: «C’était comment tes vacances?» «Ah mais attends, c’était incroyable, faut que je te raconte: on était au lac de Christus, tu vois? C’est à Saint-Paul-lès-Dax, dans les Landes –totalement sous-estimé, cet endroit, si tu veux mon avis. Bref, c’était à mon tour de vider les toilettes du van, et là, tu ne devineras jamais ce qui m’est arrivé!»