Benjamin Hermann

Mardi matin, jour de grève, Bart De Wever en Une de 12 gazettes: on appelle ça le sens du timing

Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Bart De Wever dit qu’il ne l’a pas fait exprès. Disons que la chronologie, qu’elle soit délibérée ou non, s’orchestrait magnifiquement pour présenter un accord budgétaire tout en invisibilisant les syndicats. On appelle ça le sens du timing.

Poser son acte pile au bon moment, pour produire son effet de la manière la plus optimale: cette qualité n’est pas donnée à tout un chacun. C’est ce qu’on appelle le «sens du timing».

Ainsi, les meilleurs humoristes sont généralement dotés d’un impeccable sens du timing. Ils maîtrisent à ce point le rythme qu’ils dégaineront au moment parfait pour faire marrer l’assemblée. Un joueur de football tel que Kevin De Bruyne se caractérise par un remarquable sens du timing, capable qu’il est de fendre une défense, d’un coup d’un seul.

On vient de découvrir qu’un Premier ministre, et son gouvernement avec lui, peut aussi être muni d’un formidable sens du timing. L’histoire de la majorité Arizona est celle d’une suite d’échéances et de coups de pression pour atterrir à temps. Ces dernières semaines encore, les éprouvantes discussions budgétaires auront entre autres été une question de gestion du temps. Il fallait parvenir à un accord pour telle date, sans quoi le pire allait advenir. Le traditionnel rendez-vous de la mi-octobre et de sa déclaration de politique générale a été manqué, laissant place à de nouveaux cycles de négociations de la dernière chance. Bart De Wever a même fait intervenir le roi pour, bizarrement, quémander un délai de 50 jours, après quoi il allait rendre son tablier. L’ultimatum était fixé à Noël. Le temps pressait, encore et toujours, sous la menace d’une chute du gouvernement et peut-être de la convocation d’élections anticipées.

Il fallait, dans cet enchevêtrement d’échéances, un fameux sens du timing pour conclure ledit accord pile un mois avant la fête de Noël, certes, mais surtout à l’entame d’un mouvement de contestation sociale de très grande ampleur, avec trois jours de grève à la clé. Bart De Wever a juré ses grands dieux qu’il ne l’avait pas fait exprès, qu’il n’y avait même pas pensé. Qu’autour de la table du kern, on n’a pas ressenti la moindre pression extérieure, de la rue en l’occurrence.

On pourra éventuellement lui accorder le bénéfice du doute. On lui reconnaîtra néanmoins un excellent sens du timing, qui lui a permis à lui aussi de fendre la défense adverse à la surprise générale. Le résultat de l’opération a sauté aux yeux: le gouvernement Arizona a pratiquement réduit au silence le front commun syndical en début de semaine. Lundi, pas une ouverture de JT pour les syndicats. Mardi, pas une seule Une de la presse quotidienne qui n’affiche la trombine du Premier ministre, fort de son assainissement budgétaire. Allez, reconnaissons qu’un seul quotidien, germanophone, n’a pas affiché sa photo, et qu’un autre, néerlandophone, lui a préféré le portrait d’une frituriste mécontente des conséquences de l’accord.

Pour le reste, c’est ce qu’on appelle voler la vedette à son adversaire, que la démarche soit délibérée ou non. Donner une impression de sérieux et de stabilité, pour discréditer les prétendus fauteurs de trouble. La conviction des syndicats n’aura été que renforcée, à la découverte dudit accord, mais l’espace pour l’exprimer leur aura en grande partie été confisqué. Un tel sens du timing, vraiment, cela confine au génie ou au machiavélisme, c’est selon.

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