Juliette Debruxelles

Les hommes chauves sont-ils de meilleurs amants?

A l’ère des têtes rasées esthétiquement glorifiées, il serait temps de gratter le vernis viril pour comprendre ce que cette croyance révèle non pas de la performance sexuelle réelle mais de nos fantasmes et de nos constructions culturelles.

Dans le vaste bazar des stéréotypes amoureux, une énigme persiste: les hommes chauves seraient-ils de meilleurs amants que les chevelus? Un cliché aussi tenace et has been que l’effet d’une voiture de sport rouge sur l’humidité d’une culotte féminine. Pourtant, à l’ère des têtes rasées esthétiquement glorifiées, il serait temps de gratter le vernis viril (celui qui fait briller les crânes nus) pour comprendre ce que cette croyance révèle non pas de la performance sexuelle réelle, mais de nos fantasmes et de nos constructions culturelles.

Commençons par démonter le socle biologique à coups de moqueries méchantes et gratuites. Longtemps, la calvitie fut associée à un trop-plein de testostérone, l’hormone de la virilité supposée. Un raccourci pratique, mais erroné. Les spécialistes s’accordent désormais sur la coupable: la DHT (dihydrotestostérone), une molécule dérivée de la testostérone qui agit sur les follicules capillaires, mais pas sur la libido ou les capacités sexuelles. Fermez le tiroir à fantasmes hormonaux: le chauve n’a pas plus de ressorts dans le caleçon que ses potes qui se coiffent.

Ce n’est pas le cuir chevelu qui rend meilleur amant, mais l’effet miroir qu’il provoque chez les gens.

Mais alors, pourquoi persiste-t-on à y croire?

Parce que les hommes chauves, surtout ceux qui se rasent intégralement la tête, sont perçus comme plus forts et plus confiants (c’est notamment le chercheur Albert E. Mannes, de l’université de Pennsylvanie qui le prétend). Une image de domination non menaçante qui les rendrait séduisants. Se raser la tête n’est plus un signe de déclin, mais un acte performatif. Le sociologue Michel Messu évoque même une «distinction individuelle». Une façon de dire «je me choisis». Une forme de souveraineté capillaire. Exit la calvitie subie, place au crâne volontaire. Là réside peut-être la vraie source du fantasme: un homme chauve qui assume est perçu comme celui qui ne triche pas. Or, dans la séduction, l’authenticité est un aphrodisiaque puissant. Bref, ce n’est pas le cuir chevelu qui rend meilleur amant, mais l’effet miroir qu’il provoque chez les gens.

Le stoïcisme antique n’est pas loin: notre manière d’accueillir ce que la vie nous donne et nous retire fait de nous des êtres attirants ou non. Le philosophe grec du IVe siècle Synésios de Cyrène écrivait déjà un Eloge de la calvitie alors que Bruce Willis et The Rock n’existaient pas encore. Il y voyait un signe de sagesse, un abandon du futile, presque une élévation morale.

Pourtant, cette réhabilitation n’est pas universelle. Si l’acteur Jason Statham (Fast & Furious, entre autres) fait fantasmer avec son crâne rutilant, une femme chauve suscite rarement le même enthousiasme. Les travaux de Christian Bromberger sur la «trichologie» révèlent à quel point les cheveux longs restent un attribut quasi sacré de la féminité dans l’imaginaire collectif. La perte de cheveux au fil des variations hormonales –voire la calvitie– féminine est médicalisée, cachée, corrigée. Là où un homme peut capitaliser sur son crâne rasé, une femme doit s’en excuser. CQFD.

Mais si le cheveu de l’homme n’a rien à voir avec ses prouesses, pourquoi ce mythe du chauve meilleur amant sauve la mise aux complexés d’hier? Parce qu’il repose sur autre chose que la performance sexuelle brute. Dans une société où l’angoisse de la virilité refait surface à chaque débat de société, le chauve serein rassure. Il a déjà fait la paix avec un attribut qu’il sait perdu (sans pouvoir accuser les féministes de lui avoir volé), et peut tout entier se concentrer sur son «chapeau pointu». Turlututu.

Juliette Debruxelles est éditorialiste et raconteuse d’histoires du temps présent.

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