La Chine détient plus de 80% de certains métaux rares. © BELGA

Les effets pervers de l’essor des métaux rares (chronique)

Bertrand Candelon
Bertrand Candelon Professeur de finance à l'UCLouvain et directeur de la recherche Louvain-Finance.

Les métaux rares s’annoncent comme le moteur d’une nouvelle révolution industrielle au service de la transition climatique, mais ils risquent aussi de reproduire de mauvaises pratiques.

Tout comme la révolution industrielle a reposé sur le charbon, ou la croissance de l’après-guerre sur le pétrole, la transition climatique et l’abandon des énergies fossiles reposeront sur l’abondance de nouvelles ressources naturelles: les terres et métaux rares. Cette appellation ne provient pas d’une référence géologique comme dans le passé, mais de leur disponibilité limitée et de leur extraction complexe. Des métaux tels que le cobalt, le lithium, le graphite, le tantale ou le germanium sont indispensables à la fabrication des batteries, panneaux photovoltaïques, écrans ou encore, des micropuces.

La localisation de ces ressources reste pour l’instant concentrée dans quelques pays. La Chine, par exemple, détient plus de 80% de certaines terres rares ainsi que la majorité des industries de transformation. La République démocratique du Congo (RDC) possède environ 70% du cobalt mondial. L’Australie, l’Afrique du Sud et le Chili disposent également de réserves significatives. De nouveaux gisements seront probablement découverts à l’avenir, mais, à l’heure actuelle, l’Europe apparaît comme faiblement dotée en ces ressources, ce qui entraîne une forte dépendance économique du continent.

On est en droit de penser que des pays pauvres comme la RDC pourraient, à l’instar des pays du Golfe, bénéficier de l’aubaine d’une telle richesse. L’exploitation de ces ressources pourrait accroître les revenus (grâce aux taxes et royalties appliquées aux entreprises extractives) et financer le développement. De même, des pays avancés comme la Chine pourraient utiliser ces revenus pour soutenir leur croissance. Cependant, l’expérience des énergies fossiles montre que, sauf quelques exceptions (comme le Botswana, en Afrique), les pays les plus pauvres n’ont pas réussi à bonifier cette rente. De même, beaucoup de riches Etats ont vu leurs économies déstabilisées par cet afflux de richesse. Les ressources naturelles apparaissent donc comme une malédiction plutôt qu’une aubaine.

Plusieurs facteurs expliquent ce paradoxe. D’abord, la très grande volatilité des prix des métaux rares, comme celle des autres matières premières, empêche la mise en place de politiques publiques de long terme dans des secteurs clés comme l’éducation ou la santé. Ensuite, l’afflux de revenus alimente souvent la corruption, réduisant l’efficacité de la dépense publique et stimulant l’inflation. Ces pays sont aussi exposés au «syndrome hollandais», terme hérité des conséquences négatives de la découverte de gaz aux Pays-Bas: disparition d’industries devenues non compétitives, appréciation du taux de change réel entraînant une perte de compétitivité des secteurs non énergétiques. Ainsi, la présence de métaux rares pourrait constituer un problème supplémentaire pour de nombreux pays, sauf à mettre en place une gestion macroéconomique adaptée, par exemple par des fonds souverains indépendants (comme dans les pays du Golfe ou en Norvège), ou en liant le niveau des dépenses publiques à un prix structurel de la ressource naturelle (comme fait le Chili avec le cuivre).

En somme, les métaux rares s’annoncent comme le moteur d’une nouvelle révolution industrielle au service de la transition climatique. Mais ils risquent aussi de reproduire des effets pervers déjà connus, auxquels il faudra faire face.

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