Dans un monde ouvert et concurrentiel, nous n’avons pas d’autre choix que de nous adapter à la révolution technologique en cours.
L’intelligence artificielle est en train de révolutionner notre quotidien, et quasiment plus aucune activité n’y échappe. J’ai déjà évoqué, dans une chronique précédente, les bouleversements qu’elle provoque dans le secteur bancaire. Mais on constate désormais que toutes les tâches répétitives et ingrates sont peu à peu entièrement réalisées par les ordinateurs. Des secteurs que l’on croyait à l’abri de cette évolution –comme les domaines artistiques (conception de films ou postsynchronisation), l’éducation (création de contenus éducatifs interactifs ou correction d’examens) ou encore la recherche scientifique (codage, traitement de données)– sont aujourd’hui gagnés par l’intelligence artificielle. En conséquence, des pans entiers du marché du travail risquent de disparaître. Selon un rapport de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, publié en 2023, entre 10% et 30% des emplois actuels pourraient être automatisés d’ici à 2030, un chiffre qui pourrait bien être sous-estimé compte tenu du développement rapide de l’intelligence artificielle générative.
Cette révolution n’est pas sans rappeler l’émergence de la robotique, il y a 50 ans, qui a entraîné la disparition de nombreux postes d’ouvriers, avec les conséquences économiques et sociales que l’on connaît. L’intelligence artificielle, cette fois, menace surtout des emplois intermédiaires occupés par des personnes ayant un niveau d’éducation élevé. Elle risque notamment de rendre plus difficile l’accès au marché du travail pour les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur, qui débutent souvent leur carrière dans des postes d’entrée de gamme, plus facilement automatisables. Le même rapport de l’OCDE estime que près de 27% des jeunes travailleurs sont fortement exposés à l’automatisation, contre 20% des plus âgés.
Les conséquences de l’intelligence artificielle peuvent donc paraître sombres. Pourtant, comme le rappelait le célèbre économiste autrichien Joseph Schumpeter, l’innovation se caractérise toujours par une phase de destruction, suivie d’une phase de création. L’intelligence artificielle permettra ainsi d’accroître la productivité, qui fait tant défaut dans nos économies vieillissantes, et de générer de nouvelles opportunités sur le marché du travail: postes de data scientists, métiers liés à la santé numérique ou encore aux énergies intelligentes. En 2024, le Forum économique mondial a estimé que les emplois liés à la technologie et à la durabilité allaient croître nettement plus vite que ceux appelés à disparaître, créant ainsi une embellie sur le marché de l’emploi. Néanmoins, ce même rapport souligne que cette dynamique positive nécessite une adaptation des formations, tant à l’école qu’au cours de la vie professionnelle, ainsi qu’une volonté collective d’évolution. Faute de quoi, l’effet destructeur de l’intelligence artificielle dominera.
Dans ce cadre, l’Etat a un rôle majeur d’accompagnement à jouer. En Chine, par exemple, l’intelligence artificielle est introduite dans l’enseignement primaire dès l’âge de 8 ans, afin que le futur salarié chinois ne soit pas seulement un utilisateur de l’IA, mais qu’il puisse aussi la faire évoluer et la maîtriser. Nous devons prendre conscience qu’une véritable révolution technologique est en cours. Dans un monde ouvert et concurrentiel, nous n’avons pas d’autre choix que de nous y adapter, faute de quoi nous serons immanquablement déclassés.