L’émotion a traversé la population, mais aussi la classe politique, suite au décès d’un enfant dans un parc bruxellois. Lorsque l’actualité est tragique, le rapport des politiques avec leurs émotions semble paradoxal, entre la compassion et le besoin de garder la tête froide.
«On peut être ministre, on n’est pas des machines. On reste des êtres humains. Bien sûr qu’on est touché par tous ces drames», a concédé le ministre de l’Intérieur, faisant part de son émotion, une semaine après la mort bouleversante d’un enfant dans un parc bruxellois.
«En tant que ministre des Affaires étrangères, il ne m’appartient pas de faire des déclarations à ce sujet», avait déclaré un autre membre du gouvernement, quelques jours plus tôt, à propos d’une tout autre actualité. Son opinion personnelle, en revanche, le conduisait à franchir un cap lexical. Ce à quoi on assistait était tout de même très proche d’un génocide, selon lui. Le terme était lâché. «Je ne sais pas quelles atrocités doivent encore se produire avant que ce mot puisse être utilisé», avait-il ajouté.
Les deux déclarations se rapportent à des événements sans lien entre eux. On pourrait en citer bien d’autres –l’actualité n’en manque malheureusement pas–, qui font apparaître cet équilibre difficile entre l’expression d’une émotion personnelle et celle d’une posture officielle.
L’homme est touché, il s’émeut, il ne peut rester insensible face à l’insupportable. On est ministre, on est aussi humain. On n’est pas un robot. Mais tout de même, on est tenu de se distinguer de cette personne en proie aux émotions, au moins un peu. On doit s’en extraire pour conserver toute sa rationalité, comme si les deux registres –émotion et raison– s’opposaient. On se doit de garder la tête froide, c’est ce qu’on attend aussi d’un ministre.
En réalité, les attentes sont ambiguës, telles des injonctions contradictoires. Les responsables politiques devraient se placer à la hauteur de tout un chacun, émotionnellement parlant. Un drame ou une injustice provoque de la colère, de l’indignation, de la tristesse, de la compassion. Comprendrait-on que les politiques ne soit pas traversés par plusieurs de ces émotions? Leur propre engagement politique, d’ailleurs, n’est-il pas souvent né d’une indignation, d’un sentiment d’injustice? Mais on ne surfe pas sur la vague lorsqu’on est aux responsabilités, même quand l’émotion est légitime. Il faut laisser la justice, la police, le comité P, les juridictions internationales et toutes les instances compétentes faire leur travail. Agir, éviter que cela se reproduise, ne pas tirer de conclusions hâtives, se donner du temps pour en tirer les meilleurs enseignements.
Comprendrait-on que les responsables politiques se laissent (uniquement) guider par l’émotion du moment? Eviter l’inconstance: n’est-ce pas précisément le sens d’un mandat politique qui s’inscrit dans la durée? On fera les comptes, après, mais on leur demande de garder leur sang-froid, maintenant. Et surtout, de ne pas souffler sur les braises.
L’exercice de la politique ne manque pas de paradoxes, y compris dans l’expression des émotions les plus humaines. Elles sont sollicitées, tout le temps, pour susciter l’adhésion, l’engagement ou l’indignation. Les émotions constituent un puissant levier politique. Dans le même temps, elles sont réfrénées, presque réprimées, comme s’il fallait s’en départir pour être à la hauteur. Et n’être ni tout à fait un humain ni tout à fait des machines, ou un peu des deux à la fois.