Benjamin Hermann
Le lieu commun de Benjamin Hermann | Le tram de Liège encourt-il le fameux risque du todibonisme?
Le tram de Liège vient d’être inauguré, procurant un certain soulagement aux autorités. Le projet fut laborieux, en effet. Dans l’idéal, il devrait être agrandi. Mais des raisons budgétaires ont coupé court aux ambitions. Après tout, «c’est todi bon insi», non?
Les photos de famille se ressemblent. Idéalement, chacun y arbore son plus grand sourire. On ne laisse ni apparaitre les tensions ni les histoires du passé. Il faudra laisser cette impression, lorsqu’on ressortira le cliché, du plaisir qu’on avait à être ensemble. C’est donc à la réalisation d’une photo de famille que se sont prêtées, lors de l’inauguration du tram de Liège, posant devant une rame, les autorités wallonnes, liégeoises et en charge du chantier.
Il n’était pas si facile d’être Liégeois ces dernières années. Parce que la ville a longuement été éventrée, que les habitants ont pris leur mal en patience et que les commerçants ont mangé leur pain noir. A cela se sont ajoutés une série de malheurs, retardant plus ou moins directement l’échéance. On songe en premier lieu aux inondations dévastatrices de juillet 2021. L’échec de la candidature de Liège 2017, les coups d’arrêt européens au montage financier, les errements du constructeur, la pandémie, la flambée inflationniste, la quasi-faillite du consortium, les négociations pour obtenir quelques rabs budgétaires wallons: le tram n’aura pas été épargné.
En cherchant à peine, on trouvera encore quelques arguments pour noircir le tableau. Le projet mobilise des sommes considérables – un milliard d’euros pour sa construction et son exploitation durant 27 ans – mais représente une requalification indispensable au cœur d’un des deux grands centres urbains wallons. Il a fait souffrir le commerce et les habitants, mais offre un surcroît d’attractivité évident à la Cité ardente. Il apporte une réponse aux enjeux de mobilité d’une métropole, mais probablement de manière insuffisante.
Vu l’atterrissage laborieux, il n’est guère difficile de comprendre le soulagement ressenti lors de sa mise en service. Il y a comme un sentiment d’aboutissement, qui justifie que le temps d’une photo, on mette les divergences entre parenthèses.
A ce stade, par conséquent, un des principaux risques est peut-être celui du «todibonisme», ce terme typiquement wallon tiré de l’exclamation «C’est todi bon insi» (C’est toujours bon ainsi). On l’exprime lorsqu’on est un peu trop vite satisfait, qu’on ne voit pas bien pourquoi on pousserait l’effort un cran plus loin.
A côté de l’impression de dénouement subsiste en effet le sentiment que tant reste à faire, pour justifier l’argent dépensé et les efforts consentis. On est même tenté d’écrire qu’il est déjà insuffisant, face aux enjeux urbains du futur. Le bourgmestre de Liège n’a pas tout à fait tort lorsqu’il explique qu’en France, par exemple, une ville d’un tel gabarit serait déjà dotée d’un réseau de quatre ou cinq lignes. Telle est la réalité des centres urbains de même taille en France ou en Allemagne, un peu moins aux Pays-Bas.
L’infrastructure liégeoise avait bien vocation à être étendue rapidement, d’abord vers Herstal et Jemeppe. A peine entré en fonction, le gouvernement wallon en a décidé autrement pour des raisons budgétaires. On ne refera pas le débat, mais on imagine mal ce réseau nouvellement inauguré prendre plus d’ampleur dans les années à venir. Ces espoirs-là sont douchés. Après tout, c’est «todi bon insi». Peut-être est-ce déjà beaucoup trop, diront certains.
On est tenté d’écrire que le tram est déjà insuffisant, face aux enjeux urbains du futur.
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