Oser dire la vérité, démonter les mensonges de ses adversaires: c’est un petit jeu auquel s’adonnent de plus en plus les responsables politiques en Belgique. On finirait presque par oublier que ces «vérités» péremptoires sont encore, bien souvent, des options politiques.
C’est à la mode chez les politiques: les mensonges pleuvent et la vérité est malmenée, alors il convient de la rétablir. On avance des données, un argumentaire, une démonstration, pour appuyer le propos. Voici les faits, ni plus ni moins.
Il suffit de feuilleter la presse un matin de manifestation nationale pour observer le phénomène. Ici, un ministre libéral dit des syndicats qu’ils «manipulent les informations et diffusent en permanence de fausses affirmations». Lui veut livrer la vérité. Là, une responsable syndicale reproche au même ministre de faire «de la manipulation des mots et des chiffres». Elle entend recadrer le débat, exposer les faits face aux mensonges politiques.
Quelques jours plus tôt, le parti du ministre libéral s’est offert une campagne publicitaire pour dire «stop aux mensonges: toutes les manifestations sont autorisées, surtout celle de la vérité». En listant une série de mensonges politiques «relayés par la gauche» pour y opposer, symétriquement, «la» vérité.
Alors que l’automne social s’apprêtait à gronder, des partis d’opposition ont eux aussi affiché des faits. «Voici les vrais chiffres du budget, voici les vraies conséquences de la réforme.» Et dans la foulée «voici notre version», la bonne, la vraie, la seule valable. Les uns et les autres se prêtent aussi péremptoirement, depuis quelque temps, à l’exercice a priori journalistique du fact-checking, sélectionnant les arguments des opposants pour les démonter –rarement pour les valider. Si c’est «fact-checké», c’est que c’est vrai. Et si c’est vrai, il faut l’accepter.
Peut-être oublie-t-on un insignifiant détail: ces «vérités» servent un propos politique. Et sont en proie aux interprétations, aux sensibilités, à d’innombrables biais. Il ne suffit pas de hurler «fake news», même fort, même souvent, pour qu’une proposition politique et ses conséquences deviennent vraies ou fausses. Quand bien même une fausseté serait mise au jour, cela ne signifie pas automatiquement que la proposition qui lui est opposée est vraie.
La Belgique a acquis des F-35, c’est un fait. Mais ce choix est-il pertinent, regrettable, incontournable, nécessaire, immoral? Une série de personnes seront exclues du chômage, bientôt. La chose est actée. Est-ce une abomination, un mal nécessaire, un choix courageux? Au-delà des estimations, peut-on en connaître les conséquences futures? Les exemples pourraient être multipliés à l’envi.
Des régiments de philosophes se sont penchés sur le vrai et le faux, des notions complexes qu’on n’épuisera pas à coups de fact-checkings politiques. Même en étant sûr de son fait, on peut se tromper de bonne foi, dire le faux en pensant dire le vrai, dire le vrai en pensant mentir, se mentir à soi-même, feindre, ironiser, parodier, falsifier ou même se satisfaire de contrevérités, comme le décrivait le sémioticien Umberto Eco dans un discours en 2011, repris dans l’ouvrage Reconnaître le faux (Grasset, 2022). «Est-il faux ou vrai que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils? C’est considéré comme vrai par le pape, lequel ne ment donc pas quand il dit cela, mais c’est faux pour le pape de Constantinople, qui accuse le pape –au bas mot– de se tromper, sinon le schisme d’Orient ne serait pas né», illustrait l’intellectuel italien. Il y a là, déjà, matière à réflexion.