Benjamin Hermann

Le lieu commun de Benjamin Hermann | Coalition Guinness et «hold-up» à Bruxelles

Benjamin Hermann Journaliste au Vif

En région bruxelloise, Yvan Verougstraete tente de mettre sur pied une «coalition Guinness» de tous les records. Cela a un prix, celui de l’éjection du MR, dont le président crie au hold-up. Mais peut-on vraiment parler de vol?

On en trouve, de ces choses, dans le Guinness Book. Les yeux bandés, un Allemand est parvenu à identifier 17 parfums de glace en une minute. Un Suédois a battu le record du lancer de lave-linge, à 4,45 mètres. Et un Japonais est parvenu à faire voler un avion en papier pendant 29,2 secondes.

En revanche, on n’y trouve pas de trace de la crise politique bruxelloise, qui a dépassé le précédent record belge, les fameux 541 jours. On dépassera peut-être l’Irlande du Nord, qui a pulvérisé les scores en trois années de crise, entre 2017 et 2020. En tant qu’entité fédérée, cette dernière n’a pas vu son record avalisé, ce qui sera également le cas de la Région bruxelloise, le cas échéant. Le Guinness World Records ne prend en compte que les Etats souverains.

L’honneur est sauf, la Belgique fédérale conserve donc son record de la plus longue durée sans gouvernement, après élections et en temps de paix. Au passage, le plat pays, parmi la kyrielle de records établis, en détient un autre. En 2014, la Belgique dénombrait 1.529,3 vols pour 100.000 habitants. Tout cela est très sérieux.

Il reste à savoir si le dernier hold-up en date intégrera les statistiques. C’est du moins l’avis d’un président de parti, éconduit dans le cadre des négociations: le plus grand hold-up démocratique de l’histoire politique de ce pays, a-t-il estimé dans la presse. Ce faisant, il soupçonnait d’autres partis politiques, singulièrement le PS, de vouloir laisser pourrir la situation jusqu’au prochain scrutin.

L’avenir dira si les négociations désormais menées par un autre président de parti, qui tente de fonder une coalition Guinness, justement, permettront de sortir de l’ornière. Mais la petite phrase a été formulée et l’idée peut désormais circuler: «on» a volé la victoire au vainqueur, possiblement écarté du pouvoir pour le reste de la législature.

C’est compréhensible: le parti qui a remporté le plus de suffrages, grâce à une nette augmentation de son score électoral, n’apprécie pas d’être mis de côté. Chacun peut trouver cela injuste, immoral ou irrespectueux du choix des électeurs. Mais est-ce du vol?

En 2014, la Belgique dénombrait 1.529,3 vols pour 100.000 habitants. C’est un record.

Un député libéral bruxellois s’est lui-même exprimé en s’inspirant de Robert Schuman: «En démocratie, le vrai vainqueur n’est pas celui qui arrive en tête, mais celui qui parvient à rassembler une majorité stable autour d’un projet cohérent.» L’essentiel, dans un système politique se fondant sur les coalitions, se situe probablement là.

Pour le reste, la question du déni de démocratie est un débat récurrent auquel on ne peut pas apporter une réponse simple. Qui est le plus légitime? Le plus fort? Celui qui a le plus progressé? Ceux qui s’entendent déjà à d’autres niveaux de pouvoir? Un ensemble biscornu (comme la coalition Guinness) mais à peu près stable, dans un contexte singulier? Une seule de ces options peut-elle définitivement être considérée comme du vol? En voilà, un problème complexe.

Le Guinness Book des records nous apprend qu’il a fallu 365 ans pour résoudre le dernier théorème de Fermat, qui a donné des cheveux blancs à plus d’un mathématicien. D’autres vieux problèmes demeurent irrésolus à ce jour, parmi lesquels l’arithmétique électorale bruxelloise pourrait assurément trouver une place de choix.

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