Franklin Dehousse

Franklin Dehousse

La lamentable comédie des avoirs russes gelés

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

Le lâchage européen de l’Ukraine aggrave encore sa situation face aux démolitions systématiques de la Russie.

Le Conseil européen des 22 et 23 octobre fut une nouvelle farce dans une vieille saga. Conclu par un président matamoresque («le sommet des décisions sur tous les fronts» , a affirmé Antonio Costa), il fut en réalité le contraire. Une vraie catastrophe dans la mesure où l’Ukraine, lâchée déjà par les Etats-Unis, a besoin d’argent (un déficit budgétaire de quelque 60 milliards d’euros sur deux ans). Le lâchage européen aggrave encore sa situation face aux démolitions systématiques de la Russie. La presse internationale a fort critiqué Bart De Wever pour son sabotage du prêt de 140 milliards d’euros à l’Ukraine. Cela est largement justifié, mais néglige le fait qu’Ursula von der Leyen a tout autant contribué à cet échec (qui nous coûtera bien plus cher si l’Ukraine s’affaiblit encore).

Kiev a été attaqué en février 2022. Dès le début, la problématique était connue. En 2022, la présidente de la Commission annonçait déjà un accord international sur ces avoirs. Mais comme toujours avec Ursula von der Leyen, rien ne bouge tant que les grands Etats membres, et d’abord l’Allemagne, ne poussent pas une idée. Donc, on attend octobre 2025 pour discuter non pas d’une proposition ferme, mais d’une simple invitation à la Commission de présenter une proposition (on notera qu’en droit, la présidente n’a même pas besoin de cette invitation pour présenter un texte, mais la lâcheté a peu de bornes ici.)

Ses bricolages improvisés typiques multiplient les moyens de blocage. Le Premier ministre belge s’y est engouffré avec des observations tantôt fondées tantôt hypocrites, dans une opacité tout aussi grande. Bien sûr, la Belgique a le droit de réclamer que tous les avoirs gelés en Europe soient traités de la même manière, et qu’elle soit couverte par une garantie européenne contre tout recours ultérieur (encore faut-il distinguer les avoirs publics et privés, au statut tout à fait différent, ce dont on ne parle pas). Bien sûr, en trois ans et huit mois, une Commission sérieuse aurait anticipé ces problèmes, et présenté des analyses détaillées. En revanche, en bloquant le dépôt d’une telle proposition par la Commission, Bart De Wever révèle un jeu bien différent. Il s’agit de préserver les opérations futures avec la Chine, et peut-être même avec la Russie. En clair, la priorité belge, camouflée, consiste à maintenir le business financier avec les dictatures, même payé par des flots de sang ukrainien.

Si la Belgique avait voulu être constructive, comme elle l’était naguère, et pas destructive, elle aurait étudié des conditions proportionnelles et avancé une proposition alternative. De Wever n’a rien fait de cela. Grâce à lui, le Conseil européen a même régressé par rapport aux conclusions approuvées quelques jours auparavant par les ministres des Affaires étrangères. Le Premier belge a pris pour son pays une très lourde responsabilité, dont le poids sera révélé par l’évolution de la guerre dans les douze prochains mois. Les Belges aussi sont matamoresques, pro-ukrainiens à Kiev, et pro-Poutine dans les faits à Bruxelles. Une nouvelle devise de la Belgique se prépare ici pour le bicentenaire: «pecunia non olet» («l’argent n’a pas d’odeur»).

La priorité belge, camouflée, consiste à maintenir le business financier avec les dictatures.

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