Franklin Dehousse
Kallas fait son job, c’est pour cela qu’on la critique (chronique)
La haute représentante pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité de l’UE a proposé de garantir le transfert de 40 milliards d’euros vers l’Ukraine, suscitant des critiques. Infondées.
A la suite des agressions répétées de Donald Trump et de J.D. Vance contre l’Ukraine, la haute représentante Kaja Kallas a élaboré une proposition pour l’Union européenne visant à garantir le transfert de 40 milliards d’euros et de certains armements vers ce pays menacé par l’interruption de l’aide américaine. Cela a vite provoqué un torrent de protestations émanant de divers gouvernements et diplomates. On lui reproche d’excéder ses prérogatives. De telles protestations paraissent infondées.
Sur le plan juridique, leurs auteurs devraient relire les traités. Selon l’article 18.2 du Traité sur l’UE, «le haut représentant conduit la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union. Il contribue par ses propositions à l’élaboration de cette politique et l’exécute en tant que mandataire du Conseil. Il agit de même pour la politique de sécurité et de défense commune». Selon l’art. 18.4, lesdits pouvoirs sont renforcés par son rôle de commissaire.
Selon divers commentaires anonymes, «elle n’a consulté personne avant de mettre sa proposition sur la table», «elle aurait dû préparer cette initiative de manière unitaire», «l’initiative a été présentée comme une proposition à adopter [sic]». Tout cela ne fait que refléter la frustration de diplomates et ministres dérangés dans leur immobilisme confortable. Les traités n’établissent aucune obligation de ce type. C’est la pratique médiocre des prédécesseurs de Kaja Kallas qui a créé cette impression.
Sur le plan politique, Kaja Kallas a été désignée dans un accord politique d’ensemble, où la nécessité d’une représentation des pays directement menacés par la Russie apparaissait claire. Il est normal que cela se manifeste dans son action. Celle-ci ne fait d’ailleurs que compenser l’habituel aspect poussif d’Ursula von der Leyen. Celle-ci, contrairement à la mission de la Commission, attend toujours que les Etats, surtout grands, définissent leur position avant d’en adopter une. Kaja Kallas représente l’attitude politique d’un Jacques Delors, qui, lui aussi, dérangeait à l’occasion; von der Leyen celle de José Manuel Barroso, ce qui lui a valu, comme lui, un second mandat. La haute représentante devrait toutefois mieux distinguer, dans ses interventions, ce qui constitue sa position (qu’elle est tout à fait en droit d’avoir) et celle de l’Union (où elle doit refléter le compromis conclu par les Etats membres). Pour le reste, ce qu’on reproche aux propositions de Kallas est surtout de révéler la fantastique médiocrité actuelle de l’UE, à la fois dans l’aide à l’Ukraine, maintenant menacée par Trump aussi, et dans le partage des charges financières connexes. Certes, cela dérange, mais déranger n’est pas encore interdit par les traités.
Il est par ailleurs utile pour les institutions qu’il y ait un débat public, mené par les personnes responsables, sur la base de propositions claires, et qu’on ne se contente pas d’une purée vaseuse et «jargonnante» servie par des attachés de presse répétant en boucle des communiqués. Qui sait? Cela pourrait même un jour intéresser le grand public, rebuté en général par la bureaucratisation totale de l’Union européenne.
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